ENTREPRISES TRANSNATIONALES
06/02/2012SITUATION GEOGRAPHIQUE
31/03/2012« Le droit au développement des peuples autochtones passe par le droit à déterminer leur propre rythme de changement, selon leur propre vision du développement, ainsi que par le droit de dire non à de grands projets qui impliquent un impact décisif sur leurs vies.«
Dans toute l’Amérique latine et depuis longtemps déjà, des organisations autochtones, civiles et sociales n’ont eu de cesse de dénoncer l’ingérence d’entreprises nationales et transnationales dans les territoires indigènes. Ces entreprises y justifient leur présence en parlant de «développement» : Elles auraient pour but de promouvoir le développement économique et social d’un pays. Leur présence a pourtant surtout donné lieu à l’utilisation maximale des ressources naturelles, ce qui a conduit à la dévastation de la nature et au démantèlement de modes de vie et de cultures ancrés dans des traditions ancestrales.
À un moment donné, les plates-formes multilatérales comme l’ONU ou l’OEA ont vu qu’il était nécessaire de réguler ces droits. Ce n’est pas que les peuples autochtones ne veulent pas vivre mieux, ou qu’ils n’aspirent pas à une amélioration de leur bien-être, mais il est important qu’il puisse le faire à leur manière, en fonction de leurs temps et en veillant à ce que les générations futures puissent connaître un avenir encore meilleur. C’est ce que beaucoup ont appelé l’auto-détermination des peuples autochtones, ou la « bonne vie» des indiens tsotsil et tseltal du Chiapas, leur « lekil kuxlejal », c’est-à-dire l’intégration harmonieuse de l’individu, la communauté et la nature.
Il ne s’agit pas ici de remettre en question la notion de développement des uns et des autres. Le problème rencontré par de nombreux peuples autochtones tient au fait que leurs territoires, leurs terres ou leurs lieux sacrés abondent de ressources naturelles que convoitent les entreprises privées au même titre que les pouvoirs publics qui les réglementent. Eau, montagnes, forêts sont considérées comme le cadre idéal pour la construction de barrages, de routes ou de centres écotouristiques, pour l’exploitation de mines ainsi que pour d’autres méga-projets. Des régions qui auparavant ne présentaient aucun intérêt pour ces acteurs, font désormais l’objet de convoitise.
L’idée du droit à la consultation est l’aboutissement d’un effort qui cherche à reconnaître les peuples autochtones comme les acteurs légitimes pour prendre des décisions qui ont des répercussions sur leur propre destin. Il est une expression pratique et concrète du droit plus large à l’autodétermination. Ce n’est pas l’État, ou d’autres pouvoirs de faits, qui doivent déterminer la meilleure option en faveur du développement des peuples et des communautés. Il s’agit d’un mécanisme qui souhaite inverser les tendances historiques d’exclusion des peuples autochtones des prises de décisions politiques et, par conséquent, qui vise à éviter les impositions du passé.
Les mécanismes internationaux de consultation et de droits des peuples autochtones
Les progrès dans les débats sur les droits des peuples autochtones et, en particulier, la question du droit à la consultation et au consentement libre, préalable et informé ont permis l’élaboration de plusieurs conventions internationales. Ces dernières font valoir que le droit à la consultation doit être compris comme éminemment collectif, comme un mécanisme par le biais duquel les peuples et les communautés peuvent défendre d’autres groupes de droits, comme leur droit à l’identité culturelle, à leurs terres, territoires et ressources naturelles, leur droit à préserver leurs institutions et leurs systèmes légaux et, dans les cas les plus extrêmes, leur droit à la survie en tant que peuples. Pour garantir la participation des peuples autochtones, l’État a le devoir de consulter activement les communautés, en respectant leurs coutumes et traditions, d’accepter et de fournir des informations, ainsi que de promouvoir une communication continue entre les parties, sans que celle-ci soit utilisée pour tromper, trahir ou fournir une information biaisée ou partielle. Les processus de consultation ainsi que la décision des peuples suite à ces derniers ne doivent pas être considérées comme une simple formalité.
En ce sens, les gouvernements ont la responsabilité de veiller à la réalisation d’études d’impact social et environnemental de manière conjointe avec les peuples autochtones, ceci afin d’évaluer l’incidence sociale, spirituelle, culturelle et environnementale des projets de développement. Leurs résultats devraient être des critères clés pour leur réalisation ou pas.
En 1990, le Mexique a ratifié la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’un des instruments les plus anciens, qui de manière plus précise, reconnaît et protège les droits des peuples autochtones, en particulier le droit à la consultation, vu qu’elle stipule que les peuples autochtones doivent participer efficacement au processus de décisions qui peuvent affecter leurs droits et leurs intérêts.
La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (DDPA) de 2007, ratifiée par le Mexique en 2009, est l’un des mécanismes les plus complets au monde quant aux droits des peuples autochtones. Plus précisément, l’article 19 stipule que «les États réaliseront des consultations et coopèreront de bonne foi avec les peuples autochtones concernés […] avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives qui les concernent, afin d’obtenir leur consentement libre, préalable et informé » .
L’absence de consentement libre, préalable et informé peut générer des contextes de violence et de division
La consultation doit être préalable, par exemple, « avant d’entreprendre ou d’autoriser tout programme de prospection ou d’exploitation des ressources dont leurs terres sont dotées» (Convention 169). Dans de nombreux cas, lorsque les peuples autochtones n’ont pas été préalablement informés et qu’ils décident de s’opposer à un projet donné, ils font souvent face à des situations de violence, sans recevoir la protection des organismes de sécurité publique, voire du fait de la répression de ces derniers. En 2006, l’entreprise minière canadienne Fortuna Silver, qui opère par le biais de sa filiale mexicaine Cuzcatlán, a fait son arrivée à San José del Progreso, Oaxaca. Elle venait d’obtenir la permission des autorités locales pour mettre en place un projet d’extraction sans que le reste de la communauté en ait été informé au préalable. Depuis lors, le secteur de la communauté qui s’oppose à la mine a fait l’objet d’attaques constantes, de menaces, de détentions arbitraires et d’une tendance à la criminalisation de la protestation. En mars 2009, ce même secteur de la population a décidé de bloquer l’accès aux installations de la mine afin d’exiger que la concession et d’autres autorisations accordées au projet d’exploration soient reconsidérées. Cette manifestation fut réprimée par une opération militaro-policière. La communauté est aujourd’hui profondément divisée, et ses droits à la consultation sont violés constamment tandis que l’entreprise minière continue d’aller de l’avant avec son travail. Plus récemment, le 18 janvier dernier, un membre de la Coordination des Peuples Unis des Vallées d’Ocotlán (CPUVO) a été abattu, peut-être par la police et des membres de la mairie. Ce nouvel incident violent a eu lieu lors d’une manifestation contre la pose d’un pipeline d’eau par la compagnie minière, celle-ci devant traverser les terres des opposants. Une autorisation lui avait été accordée par les autorités municipales, à nouveau sans le consentement préalable de la population. Le conflit s’intensifie toujours plus et pourrait donner lieu à encore plus de violence.
Information et possibilité de marche arrière en son absence
Le véritable exercice du droit à la consultation implique que celle-ci soit libre de toute coercition, intimidation ou manipulation. Y compris la fausse argumentation d’un développement versus pauvreté et marginalisation peut être considérée comme une forme de coercition sur la décision des peuples autochtones. Les normes internationales définissent que les peuples doivent avoir suffisamment d’informations pour leur permettre de prendre une position sur le projet au centre d’une consultation donnée. S’il existe un vice de fond ou de forme, ou si l’un des principes définis comme nécessaires pour qu’une véritable consultation soit réalisée n’est pas respectée, les communautés et les peuples ont le droit de contester la décision qui permettrait de démarrer le projet. Dans le cas de San Dionisio del Mar, dans l’Isthme de Tehuantepec, Oaxaca, une réunion s’est tenue en janvier dernier pour analyser les clauses du contrat d’usufruit signé avec l’entreprise Preneal en 2004. Les habitants ont dénoncé qu’ « on ne les avait pas informés de la portée ni de la signification du parc éolien sur le territoire du peuple Ikojts. » En conséquence, ils ont décidé à l’unanimité de révoquer le contrat avec l’entreprise « parce qu’il s’agit d’un contrat signé en recourant aux tromperies et à la mauvaise foi, afin d’obtenir de grands bénéfices économiques et en profitant de notre manque de connaissance des lois nationales et internationales. De cette façon on a violé notre droit à l’information opportune, complète et appropriée comme peuple autochtone ». Un conflit a surgi le 29 janvier, lorsque le maire a informé du permis accordé à l’entreprise Macquaire (nouveau nom de Preneal) pour qu’elle développe un projet éolien dans la communauté de Pueblo Viejo. Les opposants affirment que le maire recevra 17 millions de pesos de la dite entreprise pour avoir donné son accord. En signe de protestation, les villageois ont occupé la mairie.
Culture et environnement: autant de symboles pour les peuples autochtones
Parfois, les sites qui pourraient donner lieu à des investissements revêtent une importance culturelle ou spirituelle particulière selon les traditions et la vision du monde des peuples autochtones. Ils ont clairement une fonction additionnelle en ce qui concerne la protection de l’environnement et la santé des habitants de la zone. Par exemple à Wirikuta, lieu sacré et route de pèlerinage du peuple Wixárika, à San Luis Potosi, le gouvernement mexicain a accordé 22 concessions minières à la société canadienne First Majestic Silver Corp et à ses homologues mexicains, Minera Real Bonanza et Minera Real de Catorce. Avant de faire celà, il n’avait pas obtenu le consentement préalable du peuple Wixárika (huichol). Tunuary Chavez, membre de l’Association de Soutien des Groupes Autochtones de Jalisco (AJAGI) dénonce: « La pollution générée par l’exploitation de métaux lourds est permanente et il est pratiquement impossible de l’éliminer une fois qu’elle a pénétré la chaîne alimentaire, elle est persistante et irréversible. C’est quelque chose que l’on peut d’ores et déjà observer à Wirikuta ». Même si en 2008 le gouvernement mexicain a signé un pacte par lequel il se s’engage à respecter, protéger et préserver les sites sacrés du peuple huichol, on continue de dénoncer le maintien des concessions minières, le manque d’études d’impact environnemental et le non respect du décret qui déclare la réserve écologique Wirikuta zone naturelle protégée.
Lorsque l’opposition permet de retarder l’avancée des projets
Des organisations comme le Projet en faveur des Droits Économiques, Sociaux et Culturels (ProDESC) affirment que les entreprises transnationales fomentent les divisions au sein des communautés affectées, en collusion avec les autorités. Rosalia Garcia Marquez, membre de ProDESC, soutient que « le gouvernement mexicain omet son obligation d’informer et de consulter les communautés et les propriétaires des terres concernées. » Au Chiapas, depuis 2009, on a annoncé un projet d’autoroute entre les villes de San Cristóbal de las Casas et Palenque, dans une zone où se trouvent de nombreuses communautés ainsi que de multiples endroits d’intérêt pour le développement du tourisme. Le projet devait être réalisé justement dans la zone où était également prévue la construction de l’aéroport international de Palenque et où se trouve le Corridor Biologique Mésoaméricain. Les cascades d’Agua Azul, l’attraction touristique la plus importante de la région et le site archéologique de Palenque figuraient aussi sur les plans. L’autoroute à quatre voies qui devait avoir une largeur de 21 mètres et une barrière centrale, aurait réduit de 2 heures le voyage entre deux villes. Des ejidos comme Mitzitón ou San Sebastian Bachajón ont passé des années à résister à la mise en œuvre du projet. Selon les rapports des ejidatarios de Mitzitón, les ingénieurs du Ministère des Communications et des Transports (SCT) calculent que 10 maisons de leurs villages devraient être démolies pour permettre la construction selon les plans prévus. Des champs de maïs et des vergers, leurs principaux moyens de subsistance, seraient également détruits. Que ce soit pour la mobilisation de ceux qui seraient affectés ou suite au manque de fonds pour terminer la construction de l’autoroute, les travaux en ont été suspendus.
Assemblées communautaires truquées
Dans un cas comme celui du barrage hydroélectrique de «La Parota» au Guerrero, le mécanisme des assemblées communautaires comme espace de consultation présente des limitations par rapport aux dispositions de la Convention 169 de l’OIT, dans la mesure où elles peuvent exclure une partie de la population qui pourrait être affectée. En 2004, la Commission Fédérale de l’Électricité (CFE) a terminé les études techniques en vue de la construction du dit barrage hydroélectrique, près d’Acapulco. Sa construction sur le fleuve Papagayo impliquerait l’inondation de 13 villages et de plus de 14000 hectares, la relocalisation de plus de 25 000 personnes qui seraient forcées de quitter leurs maisons et l’affectation indirecte de 75000 personnes de plus, ainsi qu’une une grave dégradation de l’environnement. Le Conseil des Ejidos [terres communales] et des Communautés opposées au barrage de la Parota (CECOP) s’est formé pour s’opposer au projet, ses membres représentant 63% des terres qui seraient touchées par le projet. Depuis 2005, plusieurs assemblées ejidales ont été tenues soit pour autoriser soit pour interdire la mise en œuvre du projet. Le CECOP a présenté des recours légaux pour contester les assemblées organisées dans quatre communautés qui avaient donné leur accord en vue d’une prochaine expropriation de leurs terres. À titre d’exemple, en avril 2010, lors d’une assemblée convoquée par certaines autorités communautaires pro-gouvernementales, des habitants de Cacahuatepec ont approuvé l’expropriation de plus de 1.300 hectares de terres qui seraient utilisées dans le cadre de la construction du barrage. 600 policiers avaient bloqué l’entrée des membres du CECOP, raison pour laquelle ils exigèrent l’annulation de l’assemblée auprès du Tribunal agraire (TUA). Celui-ci rendit un jugement en leur faveur un an plus tard. Le Centre des droits humains Tlachinollan a souligné: « Avec ce verdict cinq sentences ont été rendues en faveur des membres des communautés et ejidatarios qui s’opposent à La Parota». L’opposition de certaines communautés et la disposition de certaines autres à accepter un dédommagement pour la destruction de leurs terres ont divisé la population locale. La polarisation maintenue au cours des dernières années a laissé un bilan de plusieurs morts, blessés ainsi que de nombreuses arrestations.
S’il s’agit de «développement», pourquoi l’absence de consultation ?
Le manque de volonté politique du gouvernement mexicain qui permettrait l’inclusion des peuples autochtones dans les processus de consultation semble une constante. Une hypothèse qui expliquerait ce manque d’intérêt à donner des informations suffisantes et organiser des consultations dans les communautés, c’est que cela impliquerait sans doute que ces dernières refuseraient la plupart des projets. De plus en plus de recherches réalisées par des organisations civiles et sociales ou par des universitaires démontrent que les coûts environnementaux et sociaux pour les populations locales affectées dépassent largement les avantages économiques et la création d’emplois qui pourraient entraîner l’approbation de projets de développement. Il semble donc que le manque de concertation cache des intérêts qui donnent la préférence aux entreprises et aux autorités, et non pas aux propriétaires des terres. Ces intérêts ne prennent pas non plus en compte les conséquences une fois que les entreprises auront terminé leur projet après avoir utilisé toutes les ressources possibles. Mina Navarro, professeur à la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’UNAM, dans sa présentation «L’exploitation minière comme un projet global», a déclaré: «Les entreprises n’intériorisent pas les coûts environnementaux. Si elles payaient les coûts réels, elles ne seraient pas rentables, et ne feraient aucun bénéfice. »
Compte tenu de ce qui a été dit, il n’est pas surprenant que de nombreux processus, réseaux sociaux et organisations aient été créés pour s’opposer au méga-projets tant au Mexique que dans toute l’Amérique latine. Un exemple de résistance aux projets d’exploitation minière est la Police Communautaire, une organisation des peuples de la Costa Chica et de la Montaña de Guerrero, à laquelle appartiennent 65 communautés, et que dirige la Coordination Régionale des Autorités Communautaires (CRAC). En 2010 et 2011, la CRAC a pris la tête du mouvement de lutte contre l’entrée de l’exploitation minière dans la région. Toute l’eau polluée par ces mines poursuit ensuite sa route vers la côte, ce qui affecte la population en général, y compris les habitants de municipalités qui ne font pas partie du système de la PC-CRAC. La campagne de divulgation intitulée «Á cœur ouvert, défendons notre mère la Terre contre l’exploitation minière», a été lancée. Elle est particulièrement tournée vers les jeunes, « parce que les concessions sont pour 50 ans, c’est à dire, on peut les archiver pendant 30 ans et les ressortir du placard. Dans 30 ans, nous, nous ne seront plus là», a souligné l’un des coordonnateurs régionaux de la CRAC.