Activités du SIPAZ (De la mi-novembre 2010 à la mi-février)
28/02/2011ACTUALITÉ : Mexique : En quête d´alternatives face à l´avancée de la militarisation
31/08/2011Cela fait 14 ans que la Journée Internationale d’Action contre les Barrages est célébrée le 14 mars sur tous les continents. Cette année encore au Mexique, cet événement a été marqué par différentes activités et manifestations, notamment dans les états du Chiapas, du Oaxaca et du Guerrero. Selon l’Association Interaméricaine pour la Défense de l’Environnement, la construction de 20 barrages avait déjà provoqué le déplacement de plus de 170 000 personnes au Mexique avant l’année 2000, et il y en avait 4 000 en attente. En 2006, le gouvernement mexicain avait annoncé que la production d’énergie hydraulique, éolienne et géothermique augmenterait de manière significative jusqu’en 2014. Actuellement, 21 % de l’électricité produite au Mexique est issue de ressources hydroélectriques, deuxième source d’énergie du pays. La volonté d’augmenter la proportion d’énergie hydroélectrique impliquerait d’éventuels nouveaux projets de barrages, dont certains ont d’ores et déjà été contestés et ont suscité des mouvements d’opposition cherchant à empêcher leur réalisation.
Deux mythes au sujet des barrages
Il en existe au moins deux. Le premier mythe érige les barrages en symboles du développement économique. Dans les années 80, le Mexique était le pays qui présentait l’indice le plus élevé du monde de population déplacée en raison de projets hydrauliques et hydroélectriques . Ces projets sont le résultat d’une stratégie économique dont les efforts portent principalement sur la construction de grandes infrastructures. Cette idée selon laquelle les barrages seraient synonymes de développement est toujours d’actualité dans le discours de certains acteurs. Le maire d’Acapulco, Manuel Añorve –qui se présenta pour être gouverneur du Guerrero- a par exemple récemment réitéré son soutien à la construction du barrage hydroélectrique de La Parota en avançant l’argument que « aucune personne sensée ne pouvait s’opposer au développement d’Acapulco ». Il a aussi affirmé que le barrage représenterait « un nouveau bassin économique d’importance qui générerait 10 000 emplois ».
L’énergie électrique est aujourd’hui un moteur indispensable du « développement industriel » et des processus plus larges d’intégrations économiques. De sa conception à sa mise en œuvre, le Plan Puebla Panama (rebaptisé Plan Mésoamérique) a eu pour vocation le développement de grandes infrastructures (réseaux routier et électrique) ; il a donc généré de grandes avancées en la matière depuis 2004. Aujourd’hui, l’inauguration du Système d’Interconnexion Électrique pour les Pays d’Amérique Centrale (SIEPAC), qui viendra s’ajouter aux interconnexions électriques entre le Guatemala et le Mexique et entre le Panama et la Colombie, est imminente.
Cependant, les activistes et les mouvements d’opposition aux barrages ne sont pas les seuls à avoir remis en cause ce modèle de « développement ». Dans un rapport publié en 2000, la Commission Mondiale des Barrages (organisme paradoxalement hébergé par la Banque Mondiale alors que cette institution financière a joué un rôle historique en faveur de ces mégaprojets) a reconnu que « dans trop de cas, le prix à payer pour obtenir les bénéfices escomptés a été inacceptable, et souvent superfétatoire, en particulier en termes sociaux et environnementaux (…). En comparaison avec d’autres alternatives, le constat de la distribution inéquitable des bénéfices a remis en cause la pertinence de nombreux barrages pour répondre aux besoins d’eau et d’énergie dus au développement. »
Le second mythe est celui qui veut présenter l’hydroélectricité comme une « énergie verte » ou non polluante, qu’il s’agisse de sa production ou de son usage. Cette perception peut la rendre particulièrement attractive à l’heure où « l’effet de serre », et le « réchauffement mondial » qu’il provoque, ont généré une meilleure prise de conscience internationale autour de cette problématique. L’énergie hydroélectrique est produite en exploitant la force du courant de l’eau. Il est vrai que c’est une énergie renouvelable, et c’est un de ses principaux avantages, qu’elle ne produit pas de fumée, et ne pollue pas l’eau chimiquement. Pourtant elle ne pourrait être considérée comme « énergie verte » que si son impact sur l’environnement était minimal, et si la force de l’eau était utilisée sans avoir à la retenir, ce qui n’est pas le cas des centrales hydroélectriques plus communément appelées barrages. La Commission Mondiale des Barrages a aussi affirmé que « les impacts communs à tous les grands barrages entraînent l’embrasement des conflits au sujet de la localisation et des conséquences de ceux-ci, qu’ils soient en opération ou en projet, et en font l’un des sujets les plus controversés aujourd’hui en matière de développement durable ».
Les raisons de la résistance : les principaux arguments de l’opposition aux barrages
D’une manière générale, la construction de barrages peut entraîner la violation de multiples droits humains reconnus au Mexique et dans le monde. Dans le cas des peuples indigènes, ils sont établis dans la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail et la plus récente Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes, toutes deux ratifiées par le Mexique.
Les premières victimes de ces projets sont évidemment les personnes expulsées de leur terre d’origine pour permettre la construction d’un barrage. Les estimations indiquent que la construction des 45 000 grands barrages du monde a causé l’expulsion de 80 millions de personnes de leurs terres et foyers. En ce qui concerne le Mexique, la loi autorise le gouvernement fédéral à expulser une partie de la population de ses terres pour mener à bien des projets considérés « d’utilité publique ». Pourtant, cela ne devrait se produire qu’après information et consultation préalables des populations affectées, et en prévoyant l’indemnisation de ces dernières.
Selon l’organisation International Rivers, « plus de 575 grands barrages ont déjà été construits sur les rivières mexicaines. Le pays possède le barrage le plus haut du continent américain et le sixième plus grand barrage du monde : le Barrage de Chicoasén dans l’état du Chiapas. Les barrages du Mexique ont provoqué le déplacement forcé de plus de 167 000 personnes. Le Barrage Temascal dans l’état de Oaxaca a déplacé presque 25 000 indigènes Mazatecas (…). Pour la plupart d’entre eux, ils ne reçurent aucune compensation pour leurs terres ou autres pertes, et quand ils manifestèrent leur mécontentement, leurs maisons furent incendiées. Les promesses d’électricité et d’eau d’irrigation ne furent jamais tenues et 200 des personnes déplacées en moururent. »
Gustavo Castro Soto de l’association Otros Mundos (D’Autres Mondes) au Chiapas précise : « lors des négociations pour construire un barrage, on fait en général 7 promesses de base aux futurs déplacés : l’accès à l’électricité dans le nouveau village de relocation, l’eau potable –parfois gratuite-, des denrées alimentaires, des projets de « développement », le revêtement des routes, des moyens de transport et la construction d’infrastructures sociales comme des cliniques et des écoles. Ces promesses ne sont jamais tenues et parfois 5 ans, 25 ans passent, voire les 50 ans correspondant à la vie utile d’un barrage, sans que les bénéfices promis ne soient obtenus. »
Par ailleurs, rares sont les fois où les analyses d’impact prennent en compte les personnes qui ne possèdent pas de terre ou n’en détiennent pas les titres légaux, ou bien les employés qui y travaillent, des situations qui sont loin d’être des cas isolés dans la complexité de la réalité rurale mexicaine. Ces personnes, pourtant concernées, sont donc exclues d’une part de tout processus de consultation et d’autre part de toute éventuelle indemnisation (si tant est qu’elle se présente). Dans le cas de La Parota, au Guerrero, le Centre des Droits Humains de la Montagne Tlachinollan mentionne l’exemple de la zone agraire de Cacahuatepec qui compte 40 000 personnes alors que son registre n’en recense que 7 286 en tant que « propriétaires communaux ».
De plus, loin d’être une énergie verte, les barrages entraînent un fort impact environnemental : ils sont une des principales causes de la perte de millions d’hectares de forêts abandonnées sous les eaux et en voie de décomposition. Les barrages n’émettent donc en effet pas de fumée mais par contre les grandes retenues d’eau dégagent de grands volumes de dioxyde de carbone et de méthane, les deux gaz à effet de serre le plus important. Les rivières, elles, soulèvent de plus en plus de sédiments organiques pour les déposer dans la retenue d’eau, ce qui amplifie le phénomène de putréfaction des matières organiques. D’un autre côté les eaux stagnantes des barrages peuvent être à l’origine de multiples maladies plus ou moins graves, principalement des problèmes gastro-intestinaux, des épidémies ou des moustiques.
Les barrages sont aussi à l’origine de grandes pertes en termes de biodiversité. La faune terrestre se retrouve déplacée aux alentours de la retenue d’eau dans des zones qui ne sont pas toujours propices à sa survie, et où elle se retrouve en compétition avec les populations animales déjà présentes. Une autre partie de la faune meurt tout simplement noyée lors de l’inondation. Par ailleurs, selon Gustavo Castro, « les lâchers d’eau froide en aval du barrage tuent certaines espèces de poissons et toute la biodiversité qui dépend des inondations naturelles. Des animaux qui participent d’écosystèmes complexes sont déplacés ou tués ; et au passage, on se prive de zones humides, de sources souterraines, de forêts uniques et de la fertilité des terres où les sédiments naturels n’arrivent plus. L’ouverture de voies d’accès pour les engins de chantier et autres infrastructures oblige à couper un grand nombre d’arbres, et les forêts pâtissent aussi de la relocalisation des populations déplacées là où elles sont réinstallées, provoquant une perte supplémentaire de biodiversité. Aucune reforestation d’autres zones n’est prévue pour compenser cet impact. »
Parmi les impacts environnementaux, il est important de mentionner que les grands barrages influent sur les phénomènes sismiques puisque les grandes quantités d’eau retenues exercent une forte pression sur les sols. Au Mexique, plusieurs barrages sont construits dans des zones fréquemment victimes de tremblements de terre.
Il est aussi de notoriété publique que les projets de barrages aboutissent généralement à un surcoût, en moyenne 56 % supérieur au budget initial prévu, causant l’endettement des gouvernements et des peuples, tout en sachant que cette augmentation est en général principalement due à des actes de corruption. Enfin, dans bien des cas, les barrages ont été imposés au prix d’une plus grande répression, désinformation, tromperie et militarisation. La Commission Mondiale des Barrages conclut que « dans les faits, la rentabilité économique réelle des grands barrages reste à prouver puisque les coûts environnementaux et sociaux n’ont pas suffisamment été pris en compte en termes économiques. Plus concrètement, ces négligences en termes d’analyse d’impacts et tous les engagements non tenus provoquent l’appauvrissement et la souffrance de millions de personnes, ce qui se traduit, dans le monde entier, par une opposition croissante aux projets de barrages au sein des communautés affectées. »
Trois exemples dans le sud-est mexicain
CHIAPAS
Le Chiapas dispose aujourd’hui du système hydroélectrique le plus grand du pays puisque cet état représente à lui seul 50 % de la production hydroélectrique nationale, c’est-à-dire 3 % du total de l’électricité produite. En ce qui concerne le Chiapas, au-delà des projets de construction, il faut prendre en compte les risques encourus dans le cas de certains barrages déjà en fonctionnement puisque, rappelons-le, leur durée de vie utile est d’environ 50 ans. Les périodes de fortes pluies (phénomène météorologique croissant ces dernières années) peuvent mettre en danger les barrages et par conséquent la population alentour : premièrement parce que le rideau risque de rompre ou de se fissurer, et deuxièmement parce que les lâchers d’eau exceptionnels, censés réduire ce premier risque, aggravent au final les risques d’inondations dus aux pluies.
En novembre 2007, un glissement de terrain de 500 000 tonnes de terre raya le village de Juan Grijalva de la carte et interrompit le cours de la rivière Grijalva, entraînant la suspension des opérations du système hydroélectrique. La population affectée fut relogée à « Nouveau San Juan Grijalva », première Ville Rurale Durable, un projet fortement promu par l’état mais dénoncé par différents acteurs de la société civile. Entre 2009 et 2011, des tunnels furent alors construits dans la courbe de cette rivière pour réduire les risques futurs dus à d’éventuelles pluies extraordinaires.
En 2010, Humberto Marengo Mogollón, coordinateur des Projets Hydroélectriques de la CFE déclara que 33 sites possibles avaient déjà été recensés pour la construction d’éventuels barrages et que cela ne représentait qu’une partie du potentiel de cet état dans ce domaine. D’un autre côté, en mars 2011, la Huitième Rencontre du Mouvement Mexicain des Affectés par les Barrages et en Défense des Rivières (MAPDER en espagnol) se tint à Huitiupan, Chiapas, où le projet de construction du barrage Itzantún, il y a 30 ans, avait rencontré la résistance des habitants qui étaient parvenus à son annulation en 1983. Si ce projet était réactivé, 11 800 hectares seraient perdus, les habitants de 30 à 35 villages indigènes se retrouveraient sans terre et des dizaines de villages (répartis sur 6 municipalités) qui utilisent la rivière Santa Catarina s’en verraient affectés.
OAXACA : PASO DE LA REYNA
Depuis 1966, la Commission Fédérale d’Électricité a réalisé diverses études le long du lit principal du Río Verde –dans les montagnes du Sud de l’état et sur la côte- pour déterminer les caractéristiques hydrologiques, géologiques, environnementales et sociales, ainsi que le potentiel hydroélectrique de cet important bassin. Depuis février 2006, la CFE a elle-même parcouru les localités de cette zone afin de présenter à la population une partie du projet intitulé « Exploitation Hydraulique à Usages Multiples-Paso de la Reyna ». Ce barrage aurait un rideau de 195 mètres de haut et affecterait directement 3 100 hectares de terre répartis sur 6 municipalités et 15 localités de la côte de Oaxaca. Ces localités sont habitées par des indigènes des peuples mixteca et chatina, et des populations métisses et afro-métisses. Ce barrage perturberait le cours normal de l’eau dans le parc national du lac de Chacahua et affecterait son écosystème fragile et sa biodiversité riche et unique, en mettant en danger la survie de diverses espèces animales et végétales déjà en voie de disparition.
Le Conseil des Peuples Unis pour la Défense du Río Verde (COPUDEVER) s’est constitué le 9 juin 2007 à San José del Progreso Tututepec pour défendre son territoire, son eau et ses ressources naturelles. Le mouvement d’opposition à la construction du barrage dans cette région est allé en s’amplifiant ; il dénonce des prises de décisions qui passent outre l’avis de nombreux concernés et les risques que ce projet implique pour les habitants.
GUERRERO : LA PAROTA
Cela fait plus de 30 ans que le projet de La Parota a vu le jour. Entre 1976 et 2002, une série d’études exploratoires ont été réalisées, et en 2003, la Commission Fédérale d’Électricité (CFE) a dépêché une armée de machines de chantier pour commencer à construire les routes nécessaires à la réalisation du barrage. Mais jusqu’à maintenant ses opposants ont réussi à les en empêcher.
Selon le Centre des Droits Humains de la Montagne Tlachinollan, si ce barrage était construit, 21 villages s’en verraient affectés. 17 300 hectares de terres fertiles et productives seraient inondés. 25 000 personnes seraient contraintes au déplacement puisque leurs terres disparaîtraient sous les eaux, mais la CFE ne reconnaît pourtant que 3 000 victimes directes. 75 000 autres personnes seraient susceptibles d’être indirectement victimes du détournement de la rivière : en effet, sans eau pour irriguer leurs terres ni pour vivre, les paysans n’auraient plus de quoi subsister. La CFE ne prévoit aucune compensation pour les victimes indirectes.
Tlachinollan a dénoncé la stratégie d’imposition qui passe par « la proposition trompeuse de travaux, services et projets productifs qui en divisant et confrontant les familles et les villages détruisent le tissu social ; l’absence d’information et de consultation de personnes concernées par les travaux violant ainsi leur droits fondamentaux ; l’organisation et la réalisation d’assemblées communales qui violent la Loi Agraire et l’Etat de Droit ; l’utilisation disproportionnée des corps de sécurité publique pour la surveillance de ces assemblées ; la criminalisation des opposants au projet au moyen de mandats d’arrêt émis à leur encontre au prétexte de délits jamais prouvés ; et (par) les menaces de mort reçues par certains opposants au projet ». Ces divisions ont déjà coûté la vie à trois personnes, auxquelles s’ajoutent trois blessés graves, quatre arrestations et sept personnes encore emprisonnées, sans compter les multiples blessés légers, solde des affrontements qui ont eu lieu lors des assemblées communales.
En 2003, les paysans de la région qui se verraient affectée par La Parota ont officialisé leur mouvement d’opposition sous le nom de CECOP (Conseil des Ejidos et Communautés Opposés à la Parota, l’ejido étant un mode de possession collective des terres et la communauté le mode traditionnel d’organisation sociale des peuples indigènes au Mexique). Ils ont ainsi obtenu l’annulation de l’appel d’offre de la CFE à des entreprises privées pour la construction du barrage et ont réussi à empêcher l’émission du décret d’expropriation par le gouvernement mexicain. Cette organisation est parvenue à mobiliser un fort soutien international, notamment plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU ainsi que le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels des Nations Unies. Du point de vue juridique, ils ont gagné cinq procès pour faire annuler des assemblées « truquées » lors desquelles l’expropriation avait soi-disant été approuvée. Le nouveau gouverneur, Ángel Aguirre, a affirmé qu’il respecterait la décision des paysans membres de l’assemblée communale. Cependant, le CECOP soutient qu’il continuera de lutter jusqu’à la parution de la résolution de non construction du barrage de La Parota dans le Bulletin Officiel de la Fédération.
Impact local, lutte mondiale
Si l’impact de la construction de barrages est principalement, mais pas exclusivement, local, la force acquise par les mouvements d’opposition vient en grande partie de leur capacité à tisser des réseaux aux niveaux national et international. Il est important que chacun prenne conscience que l’énergie électrique dont certains bénéficient a souvent été obtenue au prix d’une grande tragédie coûtant la vie à d’autres, affectant des millions d’êtres humains et d’êtres vivants en général, inondant des millions d’hectares de terres éventuellement fertiles, et causant un impact climatique dont nous sommes au final tous victimes aujourd’hui.