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21 septembre 2018, Chiapas – Le journaliste Mario Leonel Gómez Sánchez, correspondant du journal El Heraldo de Chiapas, est assassiné à Yajalón.
Il avait porté plainte quelques mois auparavant auprès du bureau du Procureur de l’état pour des menaces de mort. Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Droits de l’Homme au Mexique a condamné ces faits et souligné : “La violence à l’encontre des journalistes continue. La principale mesure pour empêcher ces attaques est une justice efficace et exhaustive, qui enquête en tenant compte de la profession de journaliste, et analyse le contexte sans écarter la recherche des auteurs intellectuels”.
24 octobre 2018 – Gabriel Soriano Kuri, présentateur et employé de RTG (Radio et Télévision du Guerrero), un média de l’état, meurt dans l’attaque par balles du minibus dans lequel il voyageait. Il revenait d’Acapulco, où il avait assisté à l’émission pendant laquelle le gouverneur Héctor Astudillo présentait son 3ème rapport annuel. La première version donnée par le bureau du Procureur parlait d’une altercation avec un autre automobiliste, armé. Soriano est le 17ème professionnel de la presse assassiné cette année au Mexique.
L’organisation pour la liberté d’expression Artículo 19 a appelé à rechercher de potentiels motifs politiques dans cette affaire car “le lendemain de l’assassinat de Soriano, un corps démembré a été retrouvé dans la colonie La Poza, situé dans la Zona Diamante d’Acapulco, portant le message suivant (…) : “ici on me respecte, gouvernement de m…, continuez de faire affaire avec le Cida (Cartel Indépendant d’Acapulco) et ils vont tous y passer, que ce soit des journalistes ou le gouvernement je m’en f…. ”“. C’est pourquoi Artículo 19 a précisé que, s’il s’avérait lié à des motifs politiques, “cet assassinat constituerait un fait sans précédent puisqu’il confirmerait que le narcotrafic, pour arriver à ses fins, utilise la presse comme chair à canon pour faire pression au niveau politique sur les autorités. Cela indiquerait le début de nouvelles formes de violence du crime organisé contre le journalisme”.
Deux affaires qui illustrent l’analyse de la situation au Mexique par Freedom House, dont le siège est situé à Washington : “L’impunité et la violence menacent la liberté d’expression au Mexique. Les journalistes et, dans une moindre mesure, les médias, sont victimes d’une escalade de violence qui a progressivement augmenté cette dernière décennie. A tel point que depuis plusieurs années le pays est parmi les premiers au monde pour les assassinats, disparitions et agressions de journalistes. Les institutions judiciaires, fragiles, sont dépassées, et les coupables restent libres, leurs crimes impunis. La réponse de l’Etat est brouillonne et insuffisante. Il n’offre pas de garantie que le journaliste puisse travailler de façon libre et indépendante. Il y a de l’autocensure, en raison de pouvoirs de facto en place qui menacent leurs vies. Mais également parce que les fonctionnaires publics les menacent et les persécutent”.
Crise généralisée quant à la sécurité de la presse
En juin 2018, les rapporteurs sur la liberté d’expression de la Commission Interaméricaine des Droits de l‘Homme (CIDH) et de l’ONU (Organisation des Nations-Unies) ont présenté un rapport commun lors de la session du Conseil des Droits de l‘Homme à Genève, suite à leur visite au Mexique en 2017.
Ils ont signalé que le pays “traverse une crise profonde en matière sécurité qui affecte gravement les droits de la population. Un des aspects centraux de cette crise est l’affaiblissement de l’état de droit et de la gouvernabilité au niveau local, une situation qui s’est répandue dans le pays” et que « des pratiques d’intimidation à l’encontre de la presse persistent, comme par exemple des agressions directes ou la partialité dans la répartition des fonds alloués à la communication officielle”.
Sous le mandat d’Enrique Peña Nieto (2012-2018), les médias ont aussi rendus publics plusieurs actions de la part du gouvernement visant à décourager et limiter le travail des journalistes, par exemple l’utilisation du logiciel espion Pegasus, et l’approbation de la Loi de Sécurité Intérieure.
En juin 2017, le journal The New York Times a publié un reportage intitulé “Nous sommes les nouveaux ennemis de l’Etat : l’espionnage des activistes et journalistes au Mexique”. On y apprenait que des journalistes et des militant.es mexicains avaient été espionné.es avec un logiciel, Pegasus, acquis par le gouvernement. Pegasus s’infiltre dans les téléphones et autres appareils pour surveiller chaque détail de la vie d’une personne : appels, sms, emails, contacts et agenda. La surveillance peut également passer par le micro et la caméra des téléphones. Le fabricant a expliqué qu’il vend cette application uniquement “aux gouvernements, à condition qu’il ne soit utilisé que pour combattre des terroristes, des bandes criminelles et les cartels de drogue” et que seul un juge fédéral peut autoriser la surveillance de communications privées, après avoir prouvé que le dossier était suffisant pour faire cette demande.
De même, Artículo 19, par la voix de son bureau régional pour le Mexique et l’Amérique Centrale, a exprimé son inquiétude face à l’approbation de la Loi de Sécurité Intérieure en décembre 2017. L’association a souligné que le droit à l’information se trouve fragilisé par l’article 9. Il y est mentionné que les informations générées par l’application de cette loi seront considérées comme relevant de la Sécurité nationale. En conséquence, toute information relative aux activités des autorités dans l’exercice de leurs fonctions dans ce cadre seront considérées comme secret d’état.
Parmi les recommandations du rapport des rapporteurs spéciaux sur la liberté d’expression de l’ONU et de la CIDH, figurent l’abrogation de la Loi de Sécurité Intérieure, la réalisation d’une enquête indépendante pour l’utilisation du logiciel espion Pegasus, la démonstration d’une volonté politique pour renforcer les mesures de sécurité et de protection des journalistes, ainsi que la garantie d’une coopération et d’une coordination effectives entre les niveaux fédéral et des états pour ce faire, enrayer la concentration au sein des mêmes mains des médias de communication, en particulier les radios et chaînes de télévision payantes, développer l’accès des peuples indigènes à la radiodiffusion communautaire.
Bien que la Cour Suprême ait déclaré la Loi de Sécurité Intérieure inconstitutionnelle mi-novembre 2018, bien d’autres inquiétudes énoncées par les rapporteurs dans le document restent en suspens.
Agressions : une répétition inquiétante
Le rapport #Pastiche de Démocratie, pas de quoi se féliciter publié par Artículo 19 en 2018, souligne que sous ce sextennat, 8% seulement des agressions de journalistes sont le fait de membres du crime organisé, 48% de fonctionnaires publics. “Le Mexique reste le pays le plus dangereux pour exercer le métier de journaliste en Amérique Latine, et le niveau de violence auxquels ceux-ci font face n’a d’égal que dans les pays en guerre, comme la Syrie. Ainsi, en 2017 nous avons documenté 507 agressions et 12 assassinats de journalistes. Au cours du mandat d’Enrique Peña Nieto, 1 986 agressions ont été enregistrées”.
En examinant l’histoire récente du Mexique, “ces 64 dernières années, au moins 289 journalistes ont été assassiné.es dans des situations vraisemblablement liées à leur métier”, selon un décompte récent de l’Unité des Données du portail d’information Sin Embargo.
Durant les 3 derniers mandats présidentiels Artículo 19 a documenté l’assassinat de 120 informateurs au Mexique, possiblement liés à leur métier (111 hommes et 9 femmes). 48 ont été enregistrés sous le mandat en cours d’Enrique Peña Nieto, dont 11 dans le seul état de Veracruz.
La disparition forcée est l’une des violences exercées à l’encontre des journalistes, et le Mexique reconnaît officiellement plus de 35 000 personnes portées disparues. Parmi ces dernières, Artículo 19 comptabilise 24 journalistes disparu.es ces 15 dernières années.
Citons également le cambriolage de leur domicile ou de leurs bureaux. Outre le matériel volé, ce genre d’incidents renforcent encore leur sentiment de vulnérabilité. Parmi les exemples récents, en avril des inconnus ont cambriolé le bureau de l’agence de presse Quadratín Guerrero, à Acapulco. Un disque dur, deux ordinateurs et des documents ont été dérobés.
Les réseaux sociaux sont aussi de plus en plus à l’origine de menaces. En mai Juan Alberto Carmona Contreras, reporter pour le journal en ligne Piñero de la Cuenca, à Tuxtepec (état de Oaxaca) a été menacé de mort sur Facebook.
L’acharnement judiciaire contre Carmen Aristegui a été particulièrement médiatisé. La journaliste a été renvoyée de MVS après la publication d’une enquête sur la “Maison Blanche”, propriété de l’épouse du président Enrique Peña Nieto, en lien avec une affaire de conflit d’intérêts. Précisons que le fils d’Aristegui fait partie des personnes surveillées par le biais du logiciel Pegasus, ceci alors qu’il était encore mineur.
Selon son rapport statistique de septembre 2018, le Parquet Spécial pour les Délits contre la Liberté d’Expression (FEADLE) compte 54 affaires en cours dans lesquelles les victimes sont des femmes, soit 21,8%. Mexico, Quintana Roo et Veracruz sont les états où les femmes journalistes sont le plus visées par des délits allant des menaces, abus de pouvoir, arrestations illégales, aux blessures voire assassinat, en passant par le vol, les intimidations, et la dégradation de leurs biens.
Les journalistes rendus vulnérables par l’impunité et la faiblesse de la réaction du gouvernement
Un rapport du Comité pour la Protection des Journalistes (le CPJ en anglais) conclut que l’impunité, fréquente au Mexique, est presque absolue quand il s’agit d’agressions ou délits commis contre la presse. « Dans un contexte de violence généralisée les journalistes sont une cible car ils sont plus exposés que les autres citoyens parce qu’ils enquêtent et ils sont plus souvent privés de leurs droits », affirme le CPJ.
La Conférence Nationale pour l’Application de la Justice a eu lieu en octobre à Oaxaca. Des procureurs de tout le pays y ont approuvé le Protocole Homologué pour l’investigation des Délits commis à l’encontre de la Liberté d’Expression. Des associations d’importance, comme Reporters Sans Frontières, le Comité pour la Protection des Journalistes, CIMAC ou Artículo 19, rappellent que soit, ce protocole est un outil nécessaire au bon fonctionnement de la justice et au combat de l’impunité pour les délits contre la liberté d’expression. Mais il faut un modèle de justice autonome et indépendante du pouvoir exécutif ; faire le ménage parmi le personnel des institutions ministérielles ; une formation appropriée des fonctionnaires ministériels ; l’indépendance impérative des experts, et allouer les ressources humaines, financières et matérielles à la FEADLE et aux bureaux du procureur ou aux unités locales en charge de ces investigations”.
D’autre part, depuis août, le manque de fonds nécessaire au fonctionnement du Mécanisme a fait l’objet d’alertes. Le dispositif avait été créé en 2012 devant les agressions et menaces subies par les professionnel.les de l’information. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a souligné que cela implique “un risque pour les 959 personnes qui bénéficient actuellement du Mécanisme ; cela implique également que des personnes nouvellement en danger ne peuvent être protégées”. Il affirme que “le manque de budget va à l’encontre de l’effort des institutions déployé par l’Etat mexicain pour faire face à la gravité de la situation des défenseur.es des droits de l’Homme et journalistes dans le pays ”. Les législateurs et la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) ont également pressé le gouvernement fédéral de verser les fonds afin que les défenseur.es et journalistes ne se retrouvent pas sans protection.
Le problème de la communication officielle
En novembre 2017, la Cour Suprême a accordé une mesure de protection à l’organisation Artículo 19, obligeant le Congrès à réglementer les fonds publics alloués à la publicité officielle, qui dépassent les 2 000 millions de dollars depuis 2013. La Cour Suprême a considéré que l’absence de régulation favorise une distribution arbitraire du budget en matière de communication sociale, ce qui “constitue un mécanisme de restriction ou de limitation indirecte de la liberté d’expression, clairement proscrit par la Constitution (…), car a politique de dépenses en matière de communication sociale concentre les ressources en faveur de médias proches des positions du Gouvernement et empêche l’accès à ces ressources -ou menace de les réduire- aux médias critiques à l’égard de la politique du Gouvernement”.
En avril 2018, le Sénat de la République a approuvé une loi de Communication Sociale censée répondre à la décision de la Cour suprême. La loi en question est aussi appelée #LoiChayote (du nom des pots-de-vin accordés aux journalistes et médias). Le Haut-Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme au Mexique a déclaré à propos du texte adopté : “En adoptant la Loi de Communication Sociale sans tenir compte des standards internationaux de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, on a manqué l’opportunité historique de corriger les mauvaises pratiques en matière de répartition des fonds liés à la publicité officielle au Mexique ”. De son côté, le Collectif Médias Libres, formé par des journalistes, des médias, des associations civiles, universitaires et professionnelles, a regretté que le texte ait seulement légalisé la propagande politique déguisée en information sans parvenir à une réglementation de fond. Il dénonce qu’il continue d’autoriser “une utilisation arbitraire et discrétionnaire de la répartition des fonds liés à la publicité officielle et entraîne une censure des médias et des journalistes qui se montrent critiques”.
Les dossiers brûlants pour le gouvernement entrant
La situation est grave, on en a conscience jusque dans les universités. Salvador Mora Velázquez, professeur à l’Université de Sciences Politiques de l’UNAM (Université Nationale Autonome du Mexique), a déclaré que : “Maltraiter un journaliste, c’est porter atteinte à la liberté d’expression” car “cela affecte la qualité de la démocratie du pays, en menaçant la qualité de l’information à laquelle le citoyen a accès”.
“Pour améliorer la liberté d’expression au Mexique, le nouveau gouvernement doit communiquer sur le rôle de “chien de garde de la démocratie du journalisme”, a pour sa part affirmé Edison Lanza, rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la CIDH en novembre.
Plusieurs déclarations et traités internationaux, comme la Déclaration américaine sur les droits et devoirs de l’Homme, la Convention américaine relative aux droits de l’Homme, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tous instruments juridiques internationaux dont le Mexique fait partie, reconnaissent la liberté d’expression comme un droit fondamental. La difficulté est aujourd’hui de les appliquer, des intérêts divergents étant en jeu. En ce sens, le Mexique fait face à plusieurs défis. Qui s’ajoutent à la multitude d’autres que le gouvernement qui entre en fonction en décembre devra aborder.