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29/12/2008La lutte contre le trafic de drogues n’est pas un phénomène récent au Mexique, mais elle a acquis une nouvelle importance depuis l’élection controversée à la présidence de Felipe Calderón en 2006. Pendant la présidence de Vicente Fox (2000-2006), près de 9000 personnes ont été assassinées lors de faits de violence liés au trafic de drogues et ce nombre a continué d’augmenter depuis que Calderón a pris le pouvoir.
Début 2007, le président Calderón a décidé de lancer une offensive frontale contre les cartels de la drogue au Mexique. Jusqu’en décembre 2007, conjointement avec le Congrès mexicain, il a approuvé un budget d’un peu moins de $2.6 milliards de dollars et 30,000 membres de l’Armée et de la Marina ont été mobilisés dans ce cadre. Calderón a également demandé de l’aide au gouvernement des USA, qui s’est finalement concrétisée par le biais de la dite Initiative Mérida.
L’initiative elle même est née d’une série de dialogues entre les présidents Calderón et Bush à partir de novembre 2006, à Washington. Après une autre rencontre à Mérida, au Yucatán, Mexique (d’où le nom de l’initiative), Calderón a présenté une proposition de coopération entre les USA et le Mexique dans la lutte contre le trafic de drogues en mai 2007.
Bien que l’Initiative Mérida soit une proposition relativement récente, ses origines peuvent être trouvées dans un grand nombre de politiques économiques et de sécurité entre les USA et le Mexique de plus longue date. De fait, l’initiative rentre parfaitement dans le cadre tracé par l’Accord pour la Sécurité et la Prospérité d’Amérique du Nord (ASPAN) qui, selon la définition qui apparaît dans la page Web du même projet est « …une initiative dirigée par la Maison Blanche et ses deux nations voisines – le Canada et le Mexique – pour augmenter la sécurité et améliorer la prospérité entre les trois pays par le biais d’une meilleure coopération ». L’ASPAN de son côté avait été élaboré au travers d’une série de réunions privées entre les chefs d’Etat de ces trois pays, conjointement avec des représentants des principales entreprises de la zone.
En juin 2008, Leslie Bassett de l’Ambassade des USA au Mexique a clarifié le lien entre ces deux politiques en proposant que l’Initiative Mérida soit intégrée directement dans l’ASPAN. Tout comme l’ASPAN, la nouvelle initiative se trouve également liée à d’autres politiques antérieures, comme l’Accord de Libre Echange d’Amérique du Nord (ALENA). Thomas Shannon, sous secrétaire pour les Affaires de l’Hémisphère Occidental du Département d’Etat des USA, l’a mis au clair en déclarant: « …comme nous avons travaillé par le biais de l’Accord pour la Sécurité et la Prospérité afin d’améliorer nos relations commerciales et d’échange, nous avons également travaillé pour améliorer la coopération en faveur de la sécurité. D’une certaine façon, nous sommes en train d’armer l’ALENA. Il faut souligner que l’on se réfère parfois à l’ASPAN comme un « TLCAN Plus ». L’Initiative Mérida s’intègre naturellement comme un nouvel élément appartenant à un même cadre.
L’initiative Mérida, « armer » l’ALENA?
L’Initiative Mérida a initialement été présentée auprès du Congrès des USA en octobre 2007 comme un paquet pour la lutte contre le trafic de drogues au Mexique et en Amérique Centrale d’un montant d’1.4 milliards de dollars. Ce paquet a été inclus dans un projet de loi de financement supplémentaire pour l’Irak, comme un amendement à celui-ci, ce qui devait faciliter son approbation législative pour l’année fiscale 2008. Il ne prévoyait aucune condition au moment de la remise des fonds, ni dans la façon dont ceux-ci devaient être utilisés. Cependant, des informations divulguées à la presse signalaient la possibilité qu’ils soient principalement destinés à l’entraînement des forces policières et militaires, ainsi qu’à l’acquisition d’armements (qui pourrait inclure des avions et matériel d’écoute des télécommunications).
De nombreux membres du Congrès des USA ont exprimé leur frustration face au gouvernement de Bush en recevant le projet de loi, du fait du manque de consultation de son contenu. Comme il ne s’agit ni d’un traité ni d’un accord formel entre les deux pays, l’initiative n’a pas non plus fait l’objet de l’approbation du Congrès du Mexique, laissant les législateurs (et la société civile) pratiquement sans aucune possibilité de donner son opinion.
Laura Carlsen, directrice d’Americas Policy Program du Centre pour la Politique Internationale (Center for International Policy) affirme: « Le modèle de guerre contre le trafic de drogues a toujours eu comme objectif non déclaré le renforcement du pouvoir exécutif », ce qui semble se confirmer dans le cas de l’Initiative Mérida vu qu’elle a été élaborée exclusivement entre les pouvoirs exécutifs des USA et du Mexique.
D’un autre côté, bien que les destinataires finaux soient des entités mexicaines, elles ne recevront pas directement de l’argent mais des aides d’un autre type (comme des entraînements ou de l’armement). La majorité des fonds sera très probablement donnée à des entreprises privées de sécurité nord américaine comme Blackwater, KBR ou Halliburton. Il est en tous les cas notable qu’une tentative de réponse à la violente problématique du trafic de drogues au Mexique finisse par être bénéficiaire à l’appareil de guerre nord américain.
Des entités du gouvernement des USA, comme l’Agence pour l’Alcool, le Tabac et les Armes à Feu (US Bureau of Alcohol Tobacco and Firearms) pourraient aussi prendre part à l’Initiative, afin d’entraîner les forces de sécurité mexicaines et de contrôler le trafic des armes des USA en direction du Mexique (par le biais de la dite Operation Gunrunner). Ces aspects de l’Initiative impliquent aussi une question de souveraineté pour le Mexique, surtout si l’on prend en compte les relations historiques compliquées entre les USA et le Mexique.
Un projet de loi (Appropiations Bill) a finalement été approuvé par le Sénat des USA le 26 juin 2008, ce qui permet de débloquer la première étape de l’Initiative Mérida, avec un budget plus réduit que celui qui était prévu au départ mais aussi avec un abandon quasi total des conditions portant sur les droits humains qui étaient en discussion. La version finale inclut 400 millions de dollars pour le Mexique, qui seraient utilisés pour des entraînements, le soutien à la réforme judiciaire et l’acquisition d’armement. 65 millions de dollars de plus ont été approuvés pour être remis à l’Amérique Centrale, Haïti et la République Dominicaine, également pour l’année fiscale 2008.
Militarisation et possible impact sur les droits humains
Il est important de souligner qu’au départ plus que d’Initiative Mérida, on parlait de « Plan Mexique ». Ce nom rappelle fortement un plan similaire mis en place en Colombie par le biais d’actions bilatérales entre les USA et ce pays dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogues: le très connu « Plan Colombie ».
Certainement, il existe de nombreuses similitudes entre les deux plans, particulièrement le fait que des fonds soient remis par les USA principalement pour améliorer les forces de sécurité dans les pays destinataires. En huit ans de Plan Colombie, les USA ont dépensé environ 6 milliards de dollars (76% d’entre eux ont été dépensés en opérations militaires et en armement).
En dépit de tous les fonds et aides reçus par la Colombie au cours des huit dernières années, très peu a changé quant au trafic de drogues: certaines études démontrent que le nombre de champs de coca est resté constant ou a augmenté. Les violations des droits humains, d’un autre côté restent un thème qui cause une grande préoccupation. Elles incluent les déplacements forcés de communautés entières et la mort de nombreux civils comme résultat de l’intense militarisation soutenue par les USA.
Qui plus est, le Centre pour la Politique Internationale estime qu’environ 35% du financement pour le Plan Colombie en 2007 a été destiné à des « missions non reliées avec le trafic de drogues », et les spéculations vont bon train quant à la possibilité que cet argent ait été destiné à des missions contre insurgées.
Si, d’un côté, l’Initiative Mérida ne devait pas impliquer nécessairement une « Colombianisation » du Mexique (ou de l’Amérique Centrale), l’élection d’un nom différent au « Plan Mexique » était plus stratégique pour les présidents Bush et Calderón.
Probablement un des aspects les plus alarmants en ce qui concerne l’Initiative Mérida est l’absence de conditions qui auraient pu générer des obligations en matière de droits humains pour l’Etat mexicain. Dans le plan original, il existait des conditions minimes qui devaient se refléter dans le projet de loi et qui ont été sévèrement censurées et pratiquement laissées de côté. Qui plus est, celles qui restent n’affecteront que 15% de la totalité des fonds (85% d’entre eux seront remis automatiquement). Celles qui sont inclues dans la loi finalement approuvé fin juin 2008 garantissent pour le moins l’établissement d’une commission pour recevoir et enquêter sur les demandes dans les cas d’abus de la part des forces policières ou militaires; une consultation périodique entre le gouvernement mexicain et les ONGs de droits humains; la mise en place de procès civils dans les cas de violations des droits humains de la part de militaires; et l’interdiction d’utiliser des témoignages obtenus sous torture. En réalité, ces conditions sont relativement superficielles, comme il reste clair dans le cas des témoignages obtenus sous torture: cette condition n’interdit pas expressément la torture mais ne fait que réduire son utilisation.
En dépit de leurs limitations, ces conditions pourraient toutefois représenter un défi pour le gouvernement mexicain et les forces publiques de sécurité. Le passé pas si lointain du Mexique est rempli d’atrocités comme la « Guerre Sale » des années 70, qui, selon l’ex général José Francisco Gallardo (un des principaux défenseurs des droits humains dans les possibles violations de la part de l’Armée), semble être à nouveau une situation d’actualité. Les statistiques croissantes d’abus militaires et de graves violations des droits humains dans tout le pays (qui incluent des cas de torture ou d’arrestations arbitraires) semblent indiquer la même chose.
Le Département d’Etat des USA lui même a mentionné la corruption, les séquestration et l’impunité comme certains aspects dominants dans le comportement des forces de sécurité mexicaine dans son dernier rapport sur la situation des droits humains au Mexique. Qui plus est, la violence dans le pays, n’a pas diminué en dépit de l’augmentation du financement de la lutte contre le trafic de drogues au Mexique. Elle semble au contraire continuer à croître. Radio Formula a rapporté qu’au Mexique ne serait-ce qu’en juin 2008, 468 personnes ont été assassinées du fait de la « narco-violence ». En comparaison, sur la même période, 509 civils ont été tués Irak.
Les implications qu’une augmentation de l’aide militaire pourrait avoir sur la protestation sociale sont également préoccupantes. Un rapport diffusé par le Centre de Politique Internationale en septembre 2004 soulignait: « Trop souvent en Amérique Latine, quand les Armées se sont centrées sur un ennemi interne, la définition d »ennemis’ a inclus des opposants politiques au régime au pouvoir, y compris ceux qui travaillent au sein du système politique comme les activistes, les journalistes, les syndicalistes ou les dirigeants des partis politiques d’opposition. »
Bien que le modèle militaire semble par expérience insuffisant dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogues et qu’y compris, il augmente la violence et la concentration du pouvoir entre les mains du seul exécutif, la plus grande partie du financement établi dans l’Initiative Mérida sera destiné justement à l’Armée mexicaine et aux forces de sécurité. Ne serait ce qu’en 2008, Calderón a augmenté les dépenses pour améliorer les forces de sécurité qui représentent désormais environ $4 milliards. L’actuel candidat républicain à la présidence des USA a affirmé dans le passé qu' »il n’y a pas de preuve qu’une implication militaire des USA dans la Guerre contre les drogues ait réduit l’entrée de narcotiques dans le pays. Actuellement, l’Armée mexicaine réalise des grandes opérations contre le trafic de drogues dans 11 états, y compris le Guerrero, Michoacán, Tamaulipas et de manière plus récente, le Chihuahua.
L’Armée mexicaine réalise déjà des activités qui, constitutionnellement, devraient être sous la responsabilité exclusive des forces de police, ce qui conduit à une situation de plus grande vulnérabilité des droits humains: comme le démontre une étude publiée par le Centre Prodh à Mexico, les militaires sont entraînés pour des scénarios de guerre, dans lesquels l’objectif est d’éliminer l’ennemi et non pas de maintenir l’ordre public. Des enquêtes réalisées dans les états où les militaires ont d’ores et déjà réalisé ce type d’opérations démontrent que l’opinion publique soutient de moins en moins ces interventions. Qui plus est de nombreux soldats ont déserté l’armée pour travailler dans des activités beaucoup plus lucratives au sein des mêmes cartels de la drogue, ce qui montre un lien troublant existant entre l’armée et les trafiquants.
Le renforcement militaire que l’Initiative Mérida implique pourrait entraîner une augmentation du nombre de violations des droits humains. La Commission Nationale des Droits humains a appelé au retrait de l’Armée du combat contre le trafic de drogues. Les militaires ont un largue historique de violations des droits humains et, depuis le début de leur participation dans la lutte contre le trafic de drogues, ont a rapporter continuellement des cas d’assassinats, viols, abus sexuels et séquestrations, comme par exemple ceux décrits dans le rapport du Département de l’Etat des USA sur les Droits humains au Mexique en 2007. Traditionnellement, ces cas font l’objet de procès devant des tribunaux militaires, laissant peu de moyens de défense pour les victimes civiles. Il existe aussi des dénonciations qui impliqueraient que ces violations soient liées à l’entraînement reçu par les militaires mexicains aux USA ou dans la zone du Canal de Panamá.
Initiative Mérida, réforme judiciaire et criminalisation de la protestation sociale
Les réformes du système de justice au Mexique constitueraient un des thèmes prioritaires pour l’Initiative Mérida qui stipule que certains fonds seraient remis pour promouvoir une réforme judiciaire qui conduirait une harmonisation du système de justice mexicain avec celui des USA. De nombreuses modifications ont d’ores et déjà été instaurées au Mexique par le biais de la réforme constitutionnelle qui a été approuvée par le Congrès mexicain le 26 février 2008. La réforme, entre autres, « établit la présomption d’innocence, permet les procès oraux, impose des limitations dans le cadre des gardes à vue, élimine les preuves obtenues par la force, améliore l’accès à des conseils judiciaires et amplifie les capacités d’enquête de la police ».
Bien qu’une grande partie de ces réformes semblent positives, d’autres ont généré de fortes préoccupations de la part des défenseurs des droits humains au Mexique. La seconde partie de ces réformes inclut en effet un révision de la définition du crime organisé pour inclure « une organisation de trois personnes ou plus pour commettre des délits de manière permanente ou réitérée »; la possibilité de garde-à-vue de 40 jours avec la possibilité d’augmenter le temps de détention à 80 de plus avant que l’accusation ne sois présentée; et l’arrestation obligatoire « dans certains délits spécifiques comme le crime organisé … et d’autres délits sérieux que la loi détermine comme contraire à la sécurité de la nation, le libre développement d’une entité et la santé ».
Ces trois dernières réformes pourraient s’appliquer facilement aux activistes et organisations sociales, créant un climat propice à la criminalisation de la protestation sociale. Les nouveaux pouvoirs conférés aux agences de procuration de la justice ouvrent une ample marge à de possibles violations des droits humains, particulièrement dans le cas de la figure du garde-à-vue, par le biais de laquelle la police pourrait maintenir les suspects à leur disposition et obtenir d’eux des confessions sous torture, comme le cas c’est déjà donné dans le passé.
Il existe une grande résistance de la part de politiques mexicains, juges et membres de la société civile quant à la participation des USA dans les affaires judiciaires mexicaine. Beaucoup considèrent que cette situation affecterait la souveraineté mexicaine. Miguel Sarre, professeur de l’Institut Technologique Autonome du Mexique (ITAM), souligne cependant que le véritable défi se trouve au sein du système de justice mexicain lui-même: « Ces réalités et préoccupations illustrent le fait que le problème essentiel est la volonté et l’habilité à combattre l’impunité, plus que le manque d’hélicoptères, d’avions ou d’autres équipements sophistiqués. »
Initiative Mérida: Perspectives
L’avenir de l’initiative Mérida s’annonce à long terme et pas forcément facile. Alors que le plan original prévoyait trois ans de durée, récemment, le Sénateur Patrick Leahy (Démocrate, pour l’état de Vermont) a affirmé que pour que l’Initiative donne des résultats, elle devrait se convertir en « un engagement à long terme » Ceci implique, qu’indépendamment de qui gagne les élections présidentielles aux USA en novembre 2008, le nouveau président devra faire avec une législation en matière de sécurité mis en place par l’administration de Bush pour plusieurs années. L’avenir de la bataille contre l’Initiative Mérida de la part de la société civile, tant aux USA qu’au Mexique, semble peu prometteur si l’on prend en compte les déclarations du candidat démocrate à la présidence, Barack Obama, dans le sens que le plan ne promeut pas un investissement suffisant dans la lutte contre le trafic de drogues. De fait, dans le cadre de la même Initiative, le Congrès des USA considère actuellement la possibilité d’approuver une augmentation de $400 a $470 millions de dollars américains pour l’année fiscale 2009.
Du côté des USA, l’initiative Mérida n’est qu’un exemple de plus dans le cadre d’une stratégie plus globale: derrière une initiative supposément bilatérale, il semblerait que les USA essayent de voir comment maintenir un cycle de bénéfices économiques pour le secteur privé de sécurité. Avec cet aspect en tête, on ne peut que se rappeler des mots de John Foster Dulles, ex Secrétaire d’Etat des USA sous la présidence d’Eisenhower, qui, lors de la prise de pouvoir du président mexicain Adolfo López Mateos en décembre 1958, a déclaré: « Les Etats Unis d’Amérique n’ont pas d’amis; ils ont des intérêts. »
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