Activités du SIPAZ (15 janvier – fin mars)
28/04/2006ACTUALITÉ : Mexique – Deux présidents ?
30/11/2006Du 14 au 16 juillet, la « Seconde Rencontre Nationale pour la Défense de notre terre et territoire, et contre le PROCEDE (Programme de Certification des Droits des ‘Ejidos’ et terrains sur lesquels les maisons sont construites) et le PROCECOM (Programme de Certification des Droits Communaux) »1a été réalisée à Zirahuén, Michoacán.
L’invitation à cette Rencontre expliquait : « La mise en place de programmes comme le PROCEDE et le PROCECOM, s’effectue, dans la majorité des cas, grâce à des actes illégaux, comme des tromperies, des manipulations et même des chantages lorsque l’on conditionne l’obtention d’œuvres sociales, de services et d’autres programmes gouvernementaux, ainsi qu’en commettant une série d’irrégularités. Ceci dénote l’existence d’une politique d’Etat qui viole des lois en vigueur comme la Loi Agraire, le Code Civil, le Droit coutumier autochtone, la même Constitution Politique du Mexique et une série de Traités Internationaux en matière de Droits Humains signés par l’Etat mexicain ».
Même si supposément le PROCEDE devait terminer en 2006, le programme continue. Qui plus est, de nombreuses organisations sociales et paysannes signalent que celui-ci n’est qu’une façon d’implanter une politique qui continuera avec les gouvernements postérieurs, bien que cela soit sous d’autres sigles et programmes.
Un peu d’histoire
Le PROCEDE a été lancé le 5 janvier 1993 avec la finalité expresse de « donner une certitude juridique à la propriété de la terre au travers de la remise de certificats parcellaires et/ou de certificats de droits d’usage commun, ou les deux selon les cas, ainsi que de titres pour les terrains sur lesquels les maisons sont construites en faveur des individus ayant des droits et qui intègrent les noyaux de population rurale qui ainsi le veuillent et le sollicitent ». C’est un programme fédéral interinstitutionnel au sein duquel le Ministère de la Réforme Agraire (SRA), le bureau du Procureur pour les thèmes Agraires (PA), l’Institut National des Statistiques, Géographie et Informatique (INEGI) et le Registre Agraire National (RAN) collaborent.
Lorsque l’on parle du PROCEDE, on ne peut que faire référence à la réforme de l’article constitutionnel 27 et à la nouvelle Loi Agraire (toutes deux parues en février 1992). Dans une bonne mesure, elles faisaient partie des négociations en vue de la mise en place de l’Accord de Libre Echange d’Amérique du Nord (ALENA) que le Mexique a signé avec les Etats-Unis et le Canada en 1994.
Les réformes de 1992 ont eu plusieurs conséquences pour les paysans mexicains :
« a) La fin de la répartition agraire qui avait commencé après le Révolution de 1910 (…);
La levée de l’interdiction légale qui protégeait les ‘ejidos’ et terres communales, qui, désormais pourront être vendus, achetés, loués, mis sous séquestre, hypothéqués ou prescrites.
Ces réformes permettent et encouragent la participation des ejidos et communautés qui possèdent des ressources naturelles précieuses dans des sociétés mercantiles en s’associant avec des entreprises et des banques. Les paysans apportent leurs terres ou leurs forêts et montagnes qui peuvent désormais être mises sous séquestre ou hippiques et aliénés « .2
En conséquence, les organisations paysannes se sont fortement opposées à ces réformes qu’ils ont qualifiées de « contre-réforme » et de marche en arrière comparée avec les conquêtes de la Révolution mexicaine : au début des années 90, elles ont multiplié les marches, ‘sit in’ et occupations d’édifices gouvernementaux, cherchant à se faire entendre. Il faut aussi souligner que la terre est l’une des principales demandes exposées par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) lorsqu’elle s’est levée en armes le 1er janvier 1994, date qui coïncide avec l’entrée en vigueur de l’ALENA, ce qui n’était pas accidentel.
13 années plus tard
Selon le rapport publié par le Registre Agraire National, il existe dans le pays 27,664 ‘ejidos‘ et 2,278 communautés qui représentent 29,942 noyaux de population rurale. Les propriétaires d’ejidos et de terres communales possèdent approximativement 9 millions de parcelles et de terrains sur lesquels leurs maisons sont construites qui couvrent la moitié du territoire national.
Las actions de communication et de sensibilisation dirigées aux propriétaires d’ejidos ainsi que le recueil d’informations complémentaires ont permis d’établir un diagnostique quant à la viabilité de l’application du programme dans 100% du total national.
96% des noyaux de population rurale ont volontairement (par décisions de leurs assemblées) décidé de participer au programme. 91% ont réalisé la délimitation de leurs parcelles et terrains en conformité avec leurs voisins. Les travaux techniques de mesurage ont été terminés dans 90% des cas. 89% du total national a finalement été régularisé ainsi que la certification ou titularisation de 77.5 millions d’hectares.
Face aux risques mentionnés antérieurement, il faut souligner que l’on calcule que dans tout le Mexique moins de 3% des ejidos et terres communales certifiés au cours des 13 années du Programme sont passés au « Régime de Plein Domaine » et ont été totalement privatisés (Source 2).
Il existe un retard dans l’application du PROECEDE dans trois états mexicains : le District Fédéral (il y a encore des ejidos et communautés dans les montagnes qui entourent la ville de Mexico couvrant une superficie de 30,496 hectares), le Oaxaca où le PROCEDE a une avancée de 52% et le Chiapas avec une avancée de 54% (Source 2, chiffres fin 2005).
Le choc de deux visions
Les états mexicains qui présentent les moindres avancées (le Chiapas et le Oaxaca) se trouvent au sud du Mexique et se caractérisent par une forte présence de population indigène. Dans la cosmovision ancestrale indigène, la Nature est considérée de manière intégrale (la « Madre Tierra », la Terre Mère), sacrée et collective, et qui ne peut donc être vendue.
C’est un fait que l’on peut illustrer par exemple de cette façon : « Il est important de souligner l’élément mystique du concept de territoire. Le territoire n’est pas seulement un lopin de terre. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut définir en un seul mot [il n’existe d’ailleurs pas de traduction directe dans les principales langues autochtones du Chiapas]. Le territoire a à voir avec l’endroit où nous semons le maïs, où nous naissons, où nous nous marions, où nous avons nos enfants. Il a à voir avec les forêts, les animaux, les lieux sacrés, les grottes, les lacs, les montagnes. Les peuples sont le territoire » 3
Cette conception a un impact profond sur les formes d’organisation existantes à ce jour dans un grand nombre de communautés autochtones : « De manière historique, tout ceci, qui implique voir la nature et la Terre comme une mère et non comme une esclave, a constitué la forme de travailler et de produire des cultures méso-américaines, et se trouve à l’origine de leur résistance politique, Pour se reproduire, cette forme d’organisation requiert le maintien et le renforcement des structures communautaires de décision et de collaboration solidaire, ainsi que la préservation de la perception collective que la terre et de ses ressources sont la propriété de tous, de la communauté dans son ensemble, qui la donne en usufruit et sous la responsabilité des familles « 4.
La vision indigène de la terre entre en contradiction avec une vision plus mercantiliste : la terre a été réduite par le système économique actuel à sa seule dimension matérielle, comme une ressource à exploiter, et a été fragmentée sous la protection de la loi à divers moments de l’histoire mexicaine.
Les déclarations du Ministre de la Réforme Agraire, Florencio Salazar Adame, lors d’un programme télévisé de la chaîne Teleformula le 5 octobre 2005 pourraient illustrer cette autre logique : « Le PROCEDE a pour objectif d’un côté d’éviter les conflits agraires et d’un autre, d’incorporer les terres au marché (…) Avant la réforme de l’article 27, le paysan en avait seulement l’usufruit. Nous devons réviser Zapata pour que l’on passe du système d’autoconsommation à la production pour le marché « .
Critiques faites au PROCEDE
Beaucoup d’organisations paysannes et civiles ont accusé le PROCEDE et le PROCECOM de provoquer des divisions dans les communautés et ‘ejidos’ (certains acceptent, d’autres pas). Ceci est particulièrement critique dans le cas du Chiapas, un état qui se caractérise par son tissu social fracturé par le conflit armé et les conséquences de la stratégie de Guerre de Basse Intensité appliquée comme réponse
Dans certains cas, la décision ne se prend pas en assemblées ou les formes légales selon lesquelles celles-ci doivent être menées ne sont pas respectées « Si au moment de la première session de l’assemblée, 75% des membres des ejidos ne sont pas présents comme la loi l’indique, on convoque une seconde mais on ne respecte pas le mois de délai entre l’une et l’autre. Lors de la seconde session, le nombre de présents passe de 75 à 50%; c’est à ce moment-là que l’on signe l’acte d’assemblée avec des conséquences pour ceux qui n’y ont pas assisté. Les fonctionnaires agraires se justifient en disant : « Nous avons réalisé le travail en faisant ce que nous a dit la communauté, en accord avec assemblée » « .5
Beaucoup d’autres questionnent le fait que ce programme rende propice l’accaparement et la vente des terres collectives: « De mon point de vue, une partie est bien, vu que celui qui a un problème agraire de limites peut trouver une solution. Mais en divisant en parcelles, celui qui a de l’argent peut vendre ou acheter ; il peut faire partie de la même communauté ou pas, et petit à petit il va accaparer plus de terres » (Source 4, habitant de la région Selva-Nord du Chiapas).
Ou bien : « Et puis maintenant, beaucoup de ‘compañeros’ ne peuvent plus obtenir du bois parce que les montagnes sont aussi parcellées; maintenant ils ne peuvent plus aller à la montagne parce qu’elle a désormais un propriétaire ». (Source 4, habitant de la région Selva-Nord du Chiapas)
Lors de la 2nde Rencontre Nationale, un participant disait encore : « Nous sommes tous capitalistes. Notre capital, c’est la terre. Si on la va vend à quelqu’un d’autre, il va la vendre à nouveau jusqu’à ce que la terre se trouve dans les mains de ceux que les gouverneurs veulent. Ce sont des étapes jusqu’à ce que la classe haute et moyenne obtienne le terrain. Nous avons des ennemis très puissants. Ils connaissent les lois et savent les utiliser. Les riches connaissent tous les trucs et suivent leur chemin ».
Un autre risque, c’est que pour obtenir des prêts, les paysans doivent laisser leurs terres en garanties, et si ensuite ils n’arrivent pas à payer leur crédit, ils les perdent : « Comme ejido il y a une organisation, il y a une unité, il y a une force ; mais une fois qu’ils nous individualisent, elles se perdent (…) D’un autre côté, nous ne savons pas gérer les programmes ; même si j’ai mes documents, je vais à la banque et je demande un prêt, je donne mon titre de propriété, et au moment où je ne peux pas payer parce que je n’ai pas bien su gérer mes paiements, mes bénéfices et mon travail, ou si je commence à boire, je termine mon argent et la banque va garder mon titre ». (Habitant de Bachajón, région Selva Nord, Source 4). D’un autre côté, en entrant dans le PROCEDE, il faut commencer à payer des impôts pour la parcelle et pour le terrain sur lequel la maison est construite.
On a également identifié des irrégularités dans la façon comment ce programme est « proposé« . Théoriquement, et selon ses propres termes : « Le PROCEDE a été et sera jusqu’à sa culmination un Programme de soutien à l’initiative paysanne, volontaire et gratuit, qui se met en place lorsque il est sollicité, sous la prémisse d’un strict respect de la volonté des noyaux de population rurale et dont l’application dépend de l’organisation et de la participation active des propriétaires des ‘ejidos’ et des terres communales, ce qui s’obtient au travers de leurs assemblées, au cours desquelles en présence d’un notaire public et en respectant le cadre juridique et technique établi, elles décident librement la délimitation, le destin et l’assignation de leurs terres. » On a cependant dénoncé de nombreux cas où les promoteurs du bureau du Procureur pour les thèmes agraires visitent les domiciles pour convaincre les familles et ou les chefs de famille de participer au programme.
Dans plusieurs autres cas, on a détecté que d’autres programmes du gouvernement comme le PROCAMPO (Programme de Soutiens Directs à la Campagne) ou les promesses de soutiens sont utilisées pour faire pression en ce même sens. « Le licencié dit que s’ils participent au programme, ils recevront plus d’appuis ; que comme ils sont associés, ils ne vont plus recevoir aucun projet, c’est ce que dit le licencié. Alors mon peuple l’a cru et c’est pour ça qu’ils ont accepté. Mais du soutien qui devait arriver, il n’y a rien. Oh, oui, il nous a bien trompé ». (Source 4)
D’autres critiques ont trait au fait que les mesures prises ne sont pas correctes. Qui plus est, si l’on détermine qu’ils ont des « excédents« , on les exproprie sans leur reconnaître le temps de possession et d’usufruit pacifique qui leur donnerait droit à une prescription positive (Source 4).
Finalement, le PROCEDE a été critiqué pour augmenter la situation d’inégalité, d’insécurité et de discrimination des femmes paysannes : « A première vue, ce nouveau Code Agraire [février 1992] nous donne l’impression d’être neutre en ce qui concerne les différences entre hommes et femmes. L’article 12 de cette Loi nous dit clairement: ‘Les hommes et les femmes titulaires de droits ejidales sont membres des ‘ejidos’. Cette formulation met en évidence l’égalité formelle qui existe dans le monde agraire. Cependant cette égalité ne se reflète pas comme égalité réelle. (…) Dans la pratique, ce programme s’est converti en une politique de titularisation des « chefs de famille » ou simplement ceux qui se trouvent en qualité d’ejidatarios à titre individuel, ce qui exclue nouvellement les femmes de l’accès à la propriété, dans ce cas-là, de la terre 6
Organisation en défense du territoire
Lors du séminaire portant sur les Droits Indigènes organisé par le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas, un des groupes de travail a conclu : « Pour renforcer la défense de notre territoire, il est nécessaire de s’organiser pour ne pas tomber dans les pièges du gouvernement néolibéral, de s’organiser pour promouvoir la résistance du Peuple ».
Certainement, les peuples autochtones comptent avec des décennies ou bien plutôt des siècles d’expérience en matière de résistance. Dans le cas du Chiapas, depuis les années 70s, le mouvement indigène et paysan s’est fortifié et de nombreuses organisations paysannes indépendantes ont surgi.
Un autre facteur d’organisation a été la réalisation de rencontres : Première Rencontre Nationale contre le PROCEDE et le PROCECOM « 10 Ans après la contre-réforme agraire, Défendons notre Terre », réalisée les 5 et 6 février 2003 dans la communauté de San Felipe Ecatepec, San Cristóbal de Las Casas, Chiapas; la Première Rencontre Etatique contre le PROCEDE et le PROCECOM, réalisée dans l’Ejido Petalcingo, Municipalité de Tila, Chiapas, du 10 au 12 mars 2006 et, plus récemment, la « Seconde Rencontre Nationale pour la Défense de notre terre et territoire, et contre le PROCEDE et le PROCECOM du 14 au 16 juillet dernier, organisée à Zirahuén, Michoacán.
Lors de cette dernière Rencontre, les participants accordèrent de créer un Réseau National pour la Défense de la terre et du territoire et contre le PROCEDE/PROCECOM, pour maintenir un échange permanent d’expériences, une coordination et un soutien mutuel dans les luttes régionales et étatiques.
La Déclaration finale se propose d’autres actions : « Nous avons également décidé de fortifier l’unité communautaire au travers de leurs assemblées, en fonction d’une vision territoriale et d’autonomie ; de promouvoir la construction d’alternatives communautaires pour le maintien et l’utilisation soutenable des ressources naturelles et pour une production agro écologique fondée sur l’autosuffisance locale et la souveraineté alimentaire, en promouvant les marchés régionaux qui récupèrent le troc. Nous génèrerons une intense campagne d’information et de diffusion, à échelle locale, nationale et internationale (…). Nous réaliserons également diverses mobilisations dans nos états et régions, en soutien aux actions de caractère juridique qui documenteront les actions illicites commises par le gouvernement dans ses efforts pour imposer le PROCEDE et le PROCECOM. »
L’appel à l’unité a été l’une des constantes de la Rencontre et certainement, elle sera nécessaire face à un processus qui ne se termine pas avec le PROCEDE. La Déclaration a en effet souligné l’inquiétude que « pour le prochain sexennat, indépendamment de celui qui résultera élu comme prochain président, l’application de ce type de programmes qui vont dans le sens de la privatisation ne s’approfondisse ».
- 1 – Ejidos: les membres des ‘ejidos’ reçoivent une parcelle de terre et toutes les décisions qui ont à voir avec les terres qui appartiennent à un même noyau de population rurale doivent être prises en assemblées.
– Terres communales : la terra appartient à la totalité des membres d’une communauté et en conséquence, les bénéfices que celle-ci génèrent sont distribués entre tous. (Retourner) - 2 – « 13 années plus tard le PROCEDE… Procède? », Maderas del Pueblo Sureste, AC, Foro para el Desarrollo Sustentable AC, février 2006) (Retourner)
- 3 – Séminaire Permanent annuel « Les Droits des Peuples Indiens, Première Session : Le droit au territoire des Peuples Indiens, Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas, novembre 2005. (Retourner)
- 4 – « L’Impact du PROCEDE sur les Ressources Naturelles, la Vie Communautaire et le Tissu Social des Communautés Indigènes Tseltales dans la Région Jungle-Nord du Chiapas », Maderas del Pueblo Sureste AC, Foro para el Desarrollo Sustentable AC, février 2006. (Retourner)
- 5 – YORAIL MAYA #4, Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas, juin 2002. (Retourner)
- 6 – Bulletin du Centre des Droits de la Femme du Chiapas AC, avril 2005. (Retourner)