Activités de SIPAZ (Mars – Mai 2002)
28/06/2002SYNTHÈSE : Actions Recommandées
27/12/2002DOSSIER : Rencontre Nationale pour la Paix – la société civile recharge ses batteries pour mieux répondre à la situation de conflit au Chiapas
Du 5 au 7 de juillet, la Rencontre Nationale pour la Paix avec Justice et Dignité a eu lieu à San Cristóbal de las Casas, Chiapas, réunissant plus de mille personnes (indigènes et non indigènes) issues de 285 organisations, 23 états de la République et de 13 pays.
Le principal objectif de cette Rencontre était de réactiver l’articulation des initiatives de la société civile par rapport au conflit du Chiapas, en particulier en défense des Accords de San Andrés en matière de droits et culture indigène.
Pour ce faire, les participants ont travaillé trois grands thèmes. Le premier était le conflit armé au Mexique, ses conséquences et le processus de paix ; le second, démocratie et droits des peuples indigènes ; le troisième, développement économique alternatif pour les communautés, municipalités et les peuples indiens. Un quatrième thème –transversal aux antérieurs- était la construction d’alternatives d’articulation et de participation civile, nationale et internationale pour atteindre la paix avec justice et dignité.
Le moment et les raisons de la Rencontre
L’invitation avait été lancée par Samuel Ruiz -évêque émérite de San Cristóbal de las Casas-, ainsi que d’autres personnalités et membres de la ex Commission Nationale d’Intermédiation (CONAI). Plusieurs organisations civiles, des intellectuels et représentants de différents secteurs sociaux s’y sont joints. L’initiative est née suite à une série de réunions à Mexico afin de lancer un nouvel effort pour la paix.
Selon Miguel Alvarez, de l’organisation Services et Conseil pour la Paix (SERAPAZ), « une autre raison pour convoquer cette Rencontre tient au fait qu’à court terme il y a peu de possibilités de reprise du dialogue… La société civile devait faire renaître la préoccupation nationale quand actuellement, les médias renvoient l’image de simples différences communautaires ». (journal Hoy, 4/7/02).
Felipe Toussaint, de la Commission d’Appui pour l’Unité et la Réconciliation Communautaire (CORECO), un des organisateurs de la Rencontre, considère qu’après les grandes initiatives de 1994-96, la mobilisation populaire en faveur d’une solution pacifique au conflit du Chiapas s’était réduite de manière significative. Le massacre d’Acteal en 1997 avait également généré une réaction importante, mais celle-ci était retombée après les attaques contre les municipalités autonomes en 1998. Les élections en l’an 2000 ont, elles aussi joué un rôle dans la dispersion et la division de la société civile, qui a cependant démontré une grande capacité de mobilisation lors de la Marche zapatiste à Mexico DF, début 2001.
Cependant, le repli et le silence prolongé de la part du commandement zapatiste après l’approbation de la réforme indigène (différente des Accords de San Andrés) ont conduit la situation à une impasse, qui se prolongera probablement jusqu’à la résolution de la Suprême Cour de Justice de la Nation (SCJN) sur les recours légaux présentés contre la réforme indigène. Selon Toussaint, lors de cette étape clef, « il était important que la société civile dise : nous sommes là et nous voulons continuer à travailler en faveur du processus de paix, comme un acteur qui doit être pris en compte ».
De son côté, Gonzalo Ituarte, ex membre de la CONAI, a commenté : « Le gouvernement de Vicente Fox ne dispose pas à l’heure actuelle de la clarté nécessaire ni face au conflit, ni face au processus de paix, ni face à la problématique indigène et de ses raisons de fond… Actuellement, on n’entr’aperçoit pas la disponibilité pour un nouvel effort de paix, et au Chiapas, ce que l’on observe c’est la polarisation et la destruction du tissu social. La paix dont Fox parle au cours de ces voyages à l’étranger, il semblerait qu’elle ne signifie que le silence des armes et il est difficile de comprendre que le conflit existe toujours, que l’armée fédérale est toujours là, que l’EZLN est toujours armée, que la déclaration de guerre est encore en vigueur et que le problème des paramilitaires se maintient. Tant que les responsables et les protecteurs politiques, économiques et armés de la création de ces groupes resteront impunis, il sera difficile de croire qu’il existe les conditions minimums pour reprendre le processus de dialogue. » (Journal La Jornada, 11/7/02).
Absences, silences et débats
Les organisateurs avaient envoyé une lettre à l’EZLN, l’informant de la réalisation de la Rencontre et lui demandant d’animer les bases de soutien zapatistes à participer. Ils expliquaient également que leur intention n’était pas d’obliger l’EZLN à modifier sa stratégie actuelle. En tous les cas, l’EZLN ne s’est prononcé ni à faveur ni contre la Rencontre, mais la présence de sympathisants et bases de soutien zapatistes était évidente. Toussaint commente : « Peut être que l’EZLN est intéressée par les résultats de la Rencontre, combien de personne vont participer. Et voir si la société civil reste active ou pas, vu que depuis le début, quand les « fusils se sont tus » comme ils disent et qu’ils ont commencé à chercher une solution par la voie du dialogue, pacifique, ils ont cherché le soutien de la société civile ».
Les gouvernements fédéral et de l’état ont semblé regarder l’événement d’un bon œil. Santiago Creel, le Ministre de l’Intérieur a déclaré: « J’espère que ce qui s’analysera à San Cristóbal soit quelque chose qui apporte, enrichisse la réflexion et le débat sur un thème qui a besoin d’être étudié, qui requiert une réflexion permanente » (Journal Diario de Chiapas, 5/7/02). De son côté, le secrétaire du gouvernement du Chiapas, Emilio Zebadúa, s’est exprimé en ces termes: « certainement que [cet événement] apportera un nouvel éclairage sur ce que [les participants] considèrent nécessaire pour que l’EZLN rompe son silence et donne à nouveau un signe qui permette d’entrevoir une opportunité pour reprendre le dialogue ». (Journal Expreso, 11/7/02).
Les relations se sont cependant détériorées quelques jours avant l’inauguration de la Rencontre. En conférence de presse, les organisateurs ont exprimé leurs craintes que le gouvernement de l’état « prétende tirer profit de cet effort de la société civile comme s’il s’agissait d’un effort conjoint ou comme si cette Rencontre secondait ses initiatives par rapport au thème Chiapas ». Tout en marquant une prise de distance, ils ont éclairci qu’ils ne se laisseraient pas influencer par le gouvernement de l’état, qui selon eux, par le biais de cette Rencontre cherchaient à exercer une pression sur les zapatistes.
Bien que plusieurs fonctionnaires du gouvernement de l’état aient participé comme observateurs ou participants, quelques jours après la Rencontre, le gouverneur Salazar a questionné: » Ceux qui croient qu’au Chiapas l’on peut construire un processus de réconciliation contre le gouvernement, en marginalisant ou isolant le gouvernement sont des rêveurs, des idiots ». « Ce furent des propositions de paix qui ont utilisé un langage de guerre, des propositions de réconciliation qui excluent le gouvernement ». (Journal Expreso, 11/7/02).
Selon Toussaint, « Pablo Salazar oublie que ces organisations, qui d’une certaine manière l’ont aidé à parvenir au pouvoir, ont conservé une façon d’agir qui maintient une saine autonomie face aux instances gouvernementales, pour préserver leur capacité de convocation et de dialogue avec les acteurs de l’opposition (…) Le processus de paix est une responsabilité de tout le monde et chacun a son rôle à jouer, et nous ne devons pas attendre que le gouvernement nous dise ce que nous allons faire ».
Réussites, perspectives et questions
En termes quantitatifs, la Rencontre a constitué un succès indiscutable. L’historien Andrés Aubry a comparé l’événement avec « une brique pour la construction de la paix » : la participation de plus de mille personnes de toutes parts a démontré que la société civile n’est pas passive. « Les gens ont répondu à l’invitation et sont venus de toutes parts et en grande quantité. (…) [La Rencontre] montre que la dénommée société civile répondra en cas d’urgence » (Journal Expreso, 10/7/02).
Selon Felipe Toussaint, un autre succès est le fait qu’en plus de la réaffirmation de la défense des Accords de San Andrés, un grand intérêt et des efforts ont été réalisés pour avancer dans le sens d’une plus grande articulation autour d’autres thèmes comme l’aspect économique (particulièrement la lutte contre le Plan Puebla-Panamá et l’ALCA) ainsi que d’autres initiatives thématiques.
Les participants ont décidé de remettre les conclusions de la Rencontre aux ministres de la SCJN (le 14 juillet), et de réaliser une seconde Rencontre dans six mois, possiblement au Guerrero pour réaffirmer le caractère national du processus.
Au-delà de l’enthousiasme immédiat et du succès évident de l’invitation, de nombreuses questions subsistent quant au futur de l’initiative, en particulier par rapport au possible impact sur les acteurs politiques et la continuité des lignes d’action approuvées. Un facteur clef sera la capacité des organisations à articuler des stratégies conjointes pour mettre en pratique les compromis assumés, en particulier dans la nouvelle étape qu’ouvrira la résolution de la SCJN.
Principaux accords
- Les résultats des thèmes travaillés se trouvent résumés dans les onze points suivants:
- Inciter toutes les luttes civiles à s’orienter de manière articulée vers la création des conditions de paix, le respect des droits humains et la construction de la démocratie.
- Défendre les Accords de San Andrés et exiger le respect des trois signes demandés par l’EZLN.
- Fortifier la participation et l’observation civile dans la lutte contre la militarisation, la para militarisation, pour la libération des prisonniers politiques et la création de conditions pour le retour des déplacés.
- S’assurer de la participation autant des femmes que des hommes dans tous les processus et projets de lutte qui favorisent la construction de la paix.
- Diffuser des informations sur la gravité de la situation de guerre et les conflits au niveau national, ainsi que sur ce que requiert une paix véritable.
- Appuyer les processus d’autonomie et de résistance des peuples indigènes.
- Inciter les processus d’unité et de participation de la société civile vers la construction de la paix et la démocratie.
- Promouvoir des valeurs politiques fondés sur l’idée de « commander en obéissant » qui respectent la diversité culturelle.
- Promouvoir la participation de la société civile mexicaine dans les processus de lutte continentaux et internationaux, ainsi que contre les projets néolibéraux comme l’Accord de Libre Commerce (ALENA), le Plan Puebla-Panamá et l’Accord de Libre Commerce des Amériques (ALCA).
- Renforcer la lutte contre la privatisation, défendre les droits des travailleurs contenus dans l’article 123 de la Constitution et récupérer l’esprit original de l’article 27.
- Générer des alternatives économiques qui favorisent l’autonomie, la diversité biologique et culturelle.