Activités de SIPAZ (Avril – Juin 2004)
30/06/2004ANALYSE : Élections au Chiapas, ¿qui a gagné?
30/12/2004Cet endroit
que tu mentionnes dans tes rêves,
est toujours là,
là où il a toujours été.
Mais la pluie ne vient pas encore
pour laver les cendres et le sang coagulé
de ce qui fut le linteau de ta maison
Antonio M. Flórez
Déplacés du Paradis
Les invisibles du conflit au Chiapas
Deux faits nous obligent à nous rappeler l’une des conséquences les plus graves du conflit armé au Chiapas, les déplacé(e)s. D’un côté, la suspension de l’aide humanitaire que le Comité International de la Croix Rouge (CICR) apportait aux déplacés de la municipalité de Chenalhó. D’un autre, le projet de loi élaboré par le Congrès fédéral pour mener à bien une réforme constitutionnelle qui introduise dans la Constitution le concept de déplacé interne (qui n’existe pas au Mexique) et permettrait la reconnaissance de cette figure juridique.
Concept et causes des déplacements internes
Les Nations Unies considèrent que les ‘déplacés internes’ sont « …les personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou obligés à échapper ou fuir de leur foyer ou de leur lieu de résidence habituel, en particulier comme un résultat, ou pour éviter les effets, d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’Homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’être humain, et qui n’ont pas franchi la frontière de l’Etat reconnue internationalement ».
Ceux qui se trouvent dans une situation de déplacement font face à un grave degré de vulnérabilité et d’absence de protection, suite au déracinement familial, identitaire et territorial que provoque l’abandon de leurs maisons. Ces conséquences se voient aggravées lorsque les victimes du déplacement sont des peuples indigènes, paysans et autres groupes qui entretiennent une relation spéciale avec la terre. Dans leur cas, il s’agit bien plus que de leur unique moyen de survie. La terre représente le centre de la vie culturelle communautaire. Ce sont précisément ces groupes qui souffrent majoritairement les déplacements.
Dans le cadre juridique, il subsiste de grandes lacunes à échelle nationale et internationale en ce qui concerne les déplacements internes, en dépit du fait que cette situation génère de multiples violations des droits de l’Homme. Comme ils sont considérés comme conséquence d’un conflit interne, de nombreux obstacles se sont présentés pour légiférer sur cette figure. Les principes de non-intervention et de respect à la souveraineté nationale ont prédominé jusqu’à présent. Ceci a promu l’impunité et le manque de protection des populations déplacées, vu que dans la plupart des conflits, l’Etat joue un rôle (origine ou cause) dans ces déplacements.
Face à cette absence de protection, Francis Deng (représentant spécial du Secrétaire Général pour les déplacés internes de l’ONU depuis 1992) a élaboré les Principes Recteurs applicables dans le cas de Déplacements Internes: des lignes directrices portant sur la protection, l’aide humanitaire et le retour des déplacés internes.
Le déplacement forcé au Chiapas
Selon le rapport élaboré par Francis Deng, la première et principale cause de déplacement forcé au Mexique est le conflit au Chiapas dont les cause sont:
- La confrontation armée entre l’armée mexicaine et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, initiée en 1994.
- Les opérations contre la guérilla de l’armée mexicaine en 1995.
- Le massacre d’Acteal du fait de paramilitaires en 1997
Pour le Centre de Droits de l’Homme Fray Bartolomé de Las Casas (CDHFBLC), le déplacement forcé est un mécanisme de répression de l’Etat qui fait partie d’une stratégie d’action de contre insurrection et d’une tactique pour l’expulsion et le contrôle du territoire liée à des intérêts politiques, économiques, culturels, locaux, régionaux et internationaux.
La municipalité de Chenalhó (zone des Hauts-Plateaux) et la zone Nord du Chiapas, sont les régions qui ont le plus souffert de la mise en place de cette stratégie, provoquant des milliers de déplacés qui furent obligés d’abandonner leur lieu d’origine pour sauver leur vie face à l’escalade de la violence provoquée. Nous allons nous centrer sur ces deux zones, sans pour autant minimiser les déplacements des autres régions de conflit.
A Chenalhó, la paramilitarisation, qui cherchait à limiter le nombre croissant de bases de soutien zapatistes dans les communautés, a consisté à armer et à entraîner militairement des indiens originaires de ces mêmes communautés, de filiation du Parti de la Révolution Institutionnelle). Ces derniers étaient chargés de harceler, de menacer et de tuer leurs propres voisins.
Le sommet de cette escalade de la violence dans cette municipalité fut le massacre d’Acteal (communauté de Chenalhó) où 45 membres du groupe ‘Las Abejas’ furent tués. Cette organisation non violente se trouvait alors harcelée et menacée suite à son refus de collaborer dans les actions de contre insurgence.
Après la tragédie, les déplacements de ‘Las Abejas’ et de zapatistes s’accrurent dans toutes les communautés où ils habitaient avec des membres du PRI, par peur de souffrir d’autres attaques paramilitaires.‘Las Abejas’ se réfugièrent majoritairement à X’oyep et Acteal, tandis que les bases de soutien zapatistes fuirent jusqu’à la municipalité autonome de Polhó. Selon le CDHFBLC, en 1998, on comptait 10.000 déplacés à Chenalhó: 80% bases de soutien de l’EZLN et 20% de ‘Las Abejas’.
Selon la systématisation élaborée par le Centre de Recherches Economiques et Politiques pour l’Action Communautaire (CIEPAC), dans la zone Nord, le groupe paramilitaire ‘Développement, Paix et Justice’, fut chargé de réaliser des actions violentes contre ceux qui s’organisaient pour la défense de leurs droits, qui appartenaient au Parti de la Révolution Démocratique (PRD) ainsi que les membres et sympathisants de l’EZLN. Dans ces communautés, le nombre de déplacés atteint le montant de 5,383 personnes en octobre 1998.
Les déplacés perdirent leurs maisons, leurs terres et leur bétail. Ils souffrirent du manque de services basiques comme l’eau potable, l’électricité, la santé et l’éducation ainsi que l’entassement. La principale problématique a été le manque de terres à cultiver, aboutissant à l’absence d’alimentation basique (maïs et haricots). A toutes ces carences matérielles, il faut encore ajouter les effets psycho-sociaux (traumas, dépression, peur, tristesse, douleurs corporelles…) que provoquent ces expériences; et le fait qu’ils continuent à souffrir du manque de protection ainsi que des menaces et du harcèlement continu.
Situation actuelle des déplacés
Selon le dernier recensement du CDHFBLC (actualisé le 10 août 2004), dans la zone de conflit, on comptabilise environ 12.000 personnes déplacées: 3,618 originaires de la zone Nord et 6,332 dans les Hauts-Plateaux (Chenalhó).
L’invisibilité à laquelle les déplacés se voient condamnés a provoqué le retard ou l’impossibilité de réparer les dommages et l’injustice que le déplacement a provoqué dans leur vie.
Début 2001, la Première Rencontre de l’état du Chiapas des Déplacés par la Guerre a été organisée. Des représentants des régions zone Nord, Jungle, Frontière, Hauts-Plateaux et Centre sont parvenus à un consensus sur les demandes suivantes:
- Mise en place des Accords de San Andrés, ASA (comme mesure pour répondre au conflit de fond vu que c’est une des conditions de l’EZLN pour reprendre le dialogue).
- Créer des conditions pour le retour ou le repositionnement des déplacés avec la garantie de recevoir des terres (exigence au gouvernement fédéral et du Chiapas).
- Paiements pour les pertes subies (indemnisation et réparation des dommages).
- Punir les paramilitaires, et que les gouvernements fassent justice.
Par le biais de cette première rencontre, l’objectif était d’articuler la lutte de tous les déplacés du fait du conflit. Ceux-ci optèrent cependant pour différentes stratégies.
Les bases de soutien zapatistes refusèrent de participer et négocier les demandes de justice et réparation des dommages avec le gouvernement. Ils préférèrent maintenir leur projet de résistance et d’autonomie, considérant les ASA comme loi en vigueur.
D’un autre côté, ‘Las Abejas’ décidèrent de négocier avec le gouvernement de manière indépendante. Ils retournèrent à leurs communautés d’origine à partir de juillet 2001, reçurent une indemnisation pour les victimes du massacre. Mais leurs demandes de justice et sécurité n’ont pas été couvertes.
Deux processus institutionnels ont été mis en place. En 2001, une table de négociation entre le gouvernement (par le biais du Secrétariat des Peuples Indiens-SEPI et du Sécrétariat du Gouvernement), les déplacés et le CDHFBLC. Celui-ci accompagne les déplacés à leur demande). Les représentants de 2451 personnes déplacées appartenant à différentes zones de conflit y prennent part: des 14 groupes, 10 d’entre eux se trouvent encore en situation de déplacement forcé et les 4 derniers comme « déplacés-retournés. De nombreuses difficultés ont limité les possibilités d’avancer quant aux trois points de demande au cours des trois dernières années: Terre, Justice et Réparation des Dommages. A l’heure actuelle, en ce qui concerne le thème de la Terre, la proposition du gouvernement est pour chaque famille de: 30.000$ pour ceux qui obtiennent la terre, les frais de la régularisation et 20.000$ en espèce pour des projets productifs. Pour le CDHFBLC, il s’agit d’une ‘réponse partielle’ vu que le gouvernement n’offre pas une quantité d’argent suffisante pour obtenir des terres sures, de bonne qualité et en quantité suffisante pour assurer une vie digne. D’autres thèmes restent en suspens comme la justice et la réparation intégrale des dommages: c’est à dire, punir les responsables d’entraîner et d’armer les paramilitaires ainsi que les paramilitaires coupables de morts, disparitions et déplacements; le paiement des dommages matériels et moraux, que l’Etat reconnaisse la situation de déplacement forcé et sa responsabilité vis-à-vis des déplacés pour cette situation.
Dans la zone Nord, dans la municipalité de Tila, la ‘table de négociation Jolnixtié’. La Commission pour la Réconciliation des communautés divisées du gouvernement du Chiapas) a commencé à négocier directement avec une partie des déplacés de la région. Un accord a également été atteint mas il n’y en aucun résultat quant au thème de la justice et la réparation des dommages. C’est pour cela que le CDHFBLC continue à les compter dans ses recensements vu que certaines de leurs demandes restent en suspens.
L’aide humanitaire aux déplacés du Chiapas
Si bien il est nécessaire de faire face aux causes de fond du conflit armé pour donner une réponse intégrale aux demandes des déplacés, la situation de déplacement requiert également assistance et protection depuis le moment où elle se produit. Au Chiapas, la crise humanitaire la plus importante fut après le massacre d’Acteal, en particulier dans les campements de X’oyep et Polhó.
Selon les ‘Principes Recteurs’, le principal responsable de cette aide est l’Etat. Mais le fait que celui-ci soit un acteur du conflit au Chiapas, ainsi que la résistance des zapatistes face au gouvernement et leur rejet de tout projet politique, économique ou d’aide qui vienne de celui-ci, a rendu indispensable l’aide humanitaire fourni par la CICR, les ONG et la société civile nationale et internationale.
L’assistance alimentaire de la CICR commença en août 1998 et fut fourni à Polhó jusqu’en décembre 2003. La fin de cet appui fut annoncée depuis 2001 et un accord fut passé avec les autorités autonomes de Polhó pour diminuer progressivement les aliments que recevait chaque famille.
Ce départ de la CICR a reçu de nombreuses critiques, certains considérant que la population déplacée allait rester sans protection et courrait le risque de la famine. Oscar Torres (du bureau de la CICR à San Cristóbal) affirme que la décision a été prise en sachant qu’il n’y avait pas de doutes que la population de Polhó pouvait se suffier à elle-même et que la situation n’avait plus un caractère « urgent » qui permettrait de réaliser leur mission. Il ajoute qui plus est que peu avant leur départ définitif, ils avaient renforcé les projets agricoles et productifs pour que la population puisse avoir les moyens de se maintenir seule.
Il faut aussi rappeler que le CICR a pour mandat de la communauté internationale la mission de protéger la vie et la dignité des victimes de la guerre et de la violence interne et de les assister, sur la base des Conventions de Genève et le Droit Humanitaire International.
Pour le responsable de la sous délégation de la CICR à San Cristóbal, Adolfo Beteta, il n’y a pas de situation d’urgence causée par le conflit armé dans l’état du Chiapas. Il reconnaît qu’il y a un « processus de paix inachevé« , et de ce fait, « une paix relative », mais que les problèmes actuels des communautés ne trouvent pas leur seule origine dans le conflit entre l’EZLN et le gouvernement. En ce sens, la CICR considère dangereux de générer une dépendance des communautés du fait de l’assistance humanitaire. La CICR maintiendra une structure minimum qui leur permettra de recommencer à prêter une nouvelle assistance en cas d’une situation d’urgence.
La vision de la CICR sur le conflit est très différente de l’analyse des différents ONG existant au Chiapas. Pour celles-ci, une guerre de basse intensité ou une guerre intégrale d’usure perdure dans la région.
Le Conseil Autonome de Polhó demande son appui à la société civile internationale afin de créer un projet d’alimentation pour les déplacés. Il affirme que les déplacés n’ont toujours pas accès à leurs terres et qu’ils ne sont donc pas en mesure de produire leurs propres aliments.
La nature du conflit au Chiapas rompt certainement le schéma des ‘guerres conventionnelles’. La stratégie mise en place ne correspond pas aux contextes de guerre régulés dans les Conventions de Genève et où les paramètres d’action de la CICR trouvent leur origine. La CICR n’a pas la seule responsabilité de la situation des déplacés suite au conflit, Elle n’a pas non plus le mandat nécessaire pour répondre au contexte dans lequel ils se trouvent actuellement.
Reconnaissance juridique: nécessaire mais insuffisante
Au Mexique, il n’existe pas une normativité ratifiée sur le thème des déplacés. C’est pour cela qu’un projet de réforme constitutionnelle a été présenté cette année. Il introduit le concept de déplacé interne et rend l’Etat nécessaire de la protection, la sécurité et la restauration des droits des déplacés. Il s’agirait d’une première étape pour établir des parties du budget qui permettent de mettre en place les politiques publiques que cette situation de dépouillement requiert.
Ce projet de loi répond en partie aux recommandations réalisées par Francis Deng au gouvernement mexicain en 2002, après avoir visité le pays et pris connaissance de la situation des déplacés internes:
Attaquer les causes de fond des déplacements internes: « le meilleur remède de la crise des déplacés internes serait parvenir à la paix et à la réconciliation nationale. Ceci dépend de la capacité d’attaquer les causes de fond du conflit, ce qui implique de nombreux problèmes graves d’ordre politique économique et social ».
- Collaborer pour assurer le retour.
- Mise en place de politiques publiques de la part du gouvernement (après avoir réalisé une consultation auprès des déplacés).
- Collecte d’informations.
- Coopération avec la communauté internationale.
Les recommandations réalisées par Francis Deng n’ont pas été reprises ou mises en place par l’Etat mexicain.
Selon le CDHFBLC, la législation devrait permettre d’éviter la perpétuation ou l’institutionnalisation des déplacés internes. Elle devrait également faire partie d’une politique plus ample visant à résoudre les causes qui ont généré le conflit en premier lieu.
S’il est nécessaire de reconnaître l’existence des déplacés internes suite au conflit au Chiapas, l’absence de législation nationale n’exempte pas le gouvernement dans la mise en place des ‘Principes Recteurs’: même s’ils n’ont pas un caractère obligatoire pour les Etats, ils se fondent sur la normativité internationale en matière de droits de l’Homme, une normativité ratifiées par le Mexique. A échelle internationale, le respect de la souveraineté des Etats devrait cheminer pour renforcer la démocratie et non pas pour favoriser l’impunité et le manque de protection de ceux qui se voient dénié un endroit pour vivre en toute sécurité et dignité.
La consultation des déplacés, des ONG et des organisations sociales serait nécessaire pour établir des mesures politiques qui visent à résoudre les causes structurelles qui ont généré le déplacement au Chiapas. Ceci plus encore quand le thème de la reconnaissance de l’autonomie est l’une des principales raisons du conflit. Le talent politique pour résoudre la question des déplacés est également fonction de la volonté politique pour construire la paix.
Bibliographie
- ZEBADÙA GONZÀLEZ, Emilio (coord..), Déplacés internos en México, Grupo Parlamentario PRD-Congreso de Diputados, México, 2004.
- HIDALGO, O y CASTRO, G., Población desplazada en Chiapas, CIEPAC-Consejería de Proyectos, México, 1999.
- CDHFBLC, Acteal: entre el Duelo y la Lucha, CDHFBLC, México, 1998.
- CDHFBLC, Caminando hacia el amanecer. Informe especial sobre déplacés de guerra en Chiapas, México, 2002.
- CDHFBLC, Informe Ejecutivo sobre la situación de déplacés internos en Chiapas, 9 de agosto del 2004.