ACTIVITES DU SIPAZ (De mi-août à fin décembre 2015)
01/02/20162015
04/03/2016Fin novembre 2015, l’équipe et le Conseil d’Administration du SIPAZ (Service International pour la Paix) ont célébré, avec plus de 130 participants provenant de différents états du Mexique et de l’étranger, leur 20ème année de présence dans le sud du Mexique. Si SIPAZ peut se féliciter d’avoir maintenu sa présence pendant 20 ans malgré les défis, il est inquiétant qu’une présence internationale pour la paix soit encore nécessaire après tout ce temps. Depuis cette perspective, il n’y aurait pas grand chose à “fêter”. Mais nous pouvons partager tout ce que nous avons appris en vingt ans. Comme l’a dit Ana María García d’EDUCA (Services pour une Education Alternative, une association de Oaxaca), dans son intervention, « nous ne fêtons pas le fait que les choses ne changent pas, mais nous célébrons notre persévérance à lutter dignement et avec espoir« .
Nous avons donc organisé une rencontre pour échanger sur les changements de contexte politique et social survenus au Mexique ces 20 dernières années, la situation et la participation des femmes au Chiapas (voir le Dossier qui leur est consacré dans ce bulletin), ainsi que les réponses et apprentissages apportés par la société civile face aux difficultés. Nous avons réuni pendant deux jours des gens de différentes organisations sociales, civiles et paysannes, du milieu universitaire et de différents collectifs. L’ambiance lors de l’événement était porteuse d’espoir, avec une attitude générale vraiment positive, sans occulter toutefois les nombreuses difficultés et défis à venir.
Les premiers pas de SIPAZ
« Nous sommes arrivées il y a vingt ans au milieu d’un conflit ouvert et déclaré quand [l’évêque] Samuel Ruiz a fait appel à la communauté internationale, et encouragé les personnes solidaires à se manifester et à chercher des alternatives« , a rappelé le président du SIPAZ, Gustavo Cabrera, originaire du Costa Rica. Les premières années, le SIPAZ a répondu à une stratégie plus « classique » d’Intervention Civile pour la Paix, qui combine principalement la présence internationale et la diffusion d’information hors de la zone de conflit. Après un certain temps SIPAZ a décidé d’investir de nouveaux domaines, ceci afin de contribuer à transformer le contexte de violence structurelle : d’où les axes éducation à la paix, dialogue interreligieux et travail en réseau.
Les activités de SIPAZ se sont par la suite étendues géographiquement: l’équipe est présente dans les états de Oaxaca et Guerrero depuis 2006, en raison des similitudes avec le Chiapas (pauvreté et marginalisation des franges les plus vulnérables de la société). Comme l’a mentionné Martha Ramírez Galeana, une jeune membre du Centre des Droits de l‘Homme de la Montagne Tlachinollan qui a participé à la seconde discussion sur les tendances et les défis liés au contexte politique mexicain: « dans les années 90, les gens se sont révoltés pour la démocratie, et c’est dans ce contexte que surgissent les mouvements autour des 500 ans de résistance qui suivent la conquête espagnole, et les villages ont commencé à se soulever; on aurait dit qu’en Oaxaca, Guerrero et au Chiapas, nos combats étaient les mêmes« .
La noirceur du contexte actuel
Martha Ramírez évoquait le “réveil” des peuples des régions du sud du Mexique, qui ont cherché des réponses à l’oppression après la forte répression à leur encontre (comme les massacres d’Aguas Blancas et d’El Charco au Guerrero). Les gens se rendaient compte que « l’Etat [voulait] diviser et détruire les mouvements des peuples les plus organisés« . Le changement observé par Martha aujourd’hui est la multiplication des acteurs dans le système de répression. « Aujourd’hui ce n’est plus seulement l’Etat [qui veut diviser] en s’appuyant sur les « caciques » locaux, il y a maintenant ce que l’on appelle le triangle du pouvoir : l’Etat, les entreprises et le crime organisé« . Il existe en outre, selon Ana María García, membre d’EDUCA (Oaxaca), une tendance notable dans le contexte actuel : ‘le dépouillement culturel, qui fragilise énormément les peuples. « Cette stratégie affaiblit la force de nos peuples. En confisquant les territoires […], mais en volant également nos rêves et nos espoirs« .
Philip MacManus, le premier président de SIPAZ, a participé à l’événement par le biais d’un message vidéo pré-enregistré. Il a mentionné les intérêts économiques qui menacent le bien-être et l’unité des peuples. « La division est une menace importante, qui a plusieurs causes. Il faut comprendre qu’il est dans l’intérêt de certaines personnes de provoquer ces divisions. Affronter ce phénomène sans tomber dans une perspective manichéenne, les bons d’un côté, les mauvais de l’autre, est un défi« .
Des enfants également ont partagé leur interprétation du contexte social et politique actuel. Ces filles et garçons, dont certain·e·s issu·e·s des familles déplacées de la communauté de Banavil (municipalité de Tenejapa, Chiapas), ont peint un mur de 2 mètres sur 3 sur l’actualité du pays. Ce qui avait commencé en paysage avec des fleurs, des collines, des animaux et des personnes, s’est achevé en une grande tache noire. Les enfants ont intitulé leur œuvre “le désastre”.
Un autre monde est possible : un défi global
Selon les participants aux 20 ans de SIPAZ, le contexte actuel doit être analysé à partir d’une perspective transnationale. Gustavo Cabrera considère à ce propos que « le temps que les acteurs locaux consacrent à résoudre leurs conflits leur fait perdre de vue le fait que ce n’est pas un problème local, mais qu’il a une origine supranationale ou internationale« . De même Richard Stahler-Sholk, membre du Conseil d’Administration de SIPAZ et professeur à l’Université du Michigan (Etats-Unis), a introduit l’échange sur le contexte national avec une référence au contexte globalisé dans lequel nous vivons. « [L]e contexte de cette discussion est un contexte global. Penser une globalisation autre que celle que nous vivons actuellement est un combat, avec ce slogan du mouvement altermondialiste ´Un autre monde est possible´. Il faut croire en cet autre monde et être conscients du fait que nous sommes en train de construire cet autre monde possible » a-t-il déclaré. Dolores González, de SERAPAZ (Services et Conseils pour la Paix), dit observer dans ce contexte global « trois tendances: la catastrophe écologique, la crise économique et la guerre permanente« . Elle a expliqué qu’en même temps, « il est important de voir les lumières dans l’obscurité : Atenco, La Parota, Paso de la Reyna, les Yaquis, San Javier, les Seris, les villages de l’Isthme qui affrontent les éoliennes, les communautés autonomes du Chiapas, et bien d’autres formes encore de protestation « . C’est en ce sens que Pietro Ameglio, de Servicio Paz y Justicia de Morelos, a souligné que « on apprend toujours quelque chose de nouveau quand on vient au Chiapas. J’y apprends personnellement sur la définition qui se rapproche le plus de la non-violence :´comment désobéir aux ordres lorsqu’ils sont inhumains´, car c’est pour moi la définition de la non-violence« .
Les lueurs d’espoir
L’histoire de Tita Radilla est un autre exemple de résistance non-violente. Son père Rosendo Radilla, leader social du Guerrero dans les années 70, a disparu en 1974 à un check-point militaire. Sa fille recherche son père depuis 41 ans, toujours sans résultat. Elle a toutefois souligné que ses efforts et ceux de sa famille ont entraîné des changements dans le système judiciaire mexicain, qui augmentent les chances des personnes qui lancent désormais des procédures pour que justice soit rendue.
Tita Radilla se référait à la décision de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme qui, en 2010, a fait endosser à l’Etat mexicain la responsabilité dans la disparition de Rosendo Radilla, et recommandé que les crimes commis par des militaires soit désormais jugés devant des tribunaux civils, et non plus militaires. Cet avis a entraîné la réforme du Code de la Justice militaire, approuvée par le Sénat de la République du Mexique en avril 2014.
Eloy Cruz est membre de COPUDEVER (Conseil des Peuples Unis en Défense du Río Verde), de la Côte de Oaxaca. Dans son intervention sur les apprentissages, il a déclaré qu’ »il faut arrêter d’avoir peur du gouvernement« . Il a raconté que la CFE (opérateur public d’électricité) est venue dans les communautés qui seraient affectées par la construction du barrage hydro-électrique Paso de la Reina en leur disant « vous êtes les seuls [à ne pas encore avoir signé] ». Les habitant·e·s se sont rendus compte que cela faisait partie de la stratégie du gouvernement pour les convaincre. « Il a fallu réunir les 47 communautés pour se rendre compte que personne n’avait accepté quoi que ce soit. C’était seulement une ruse de la CFE. Mais nous veillons sur notre ejido comme chacun veille sur sa propre maison « . Refuser de prendre part, de participer aux projets du gouvernement ou des entreprises, est ce que Pietro Ameglio appelle la non coopération. Comme il l’explique : « Le schéma de la non coopération, qui est la clé du zapatisme et du ghandisme, est celui-ci : le pouvoir est entre nos mains, et non les leurs. Il ne sert à rien de leur demander ce qu’ils refuseront de toute façon, nous devons prendre conscience de ce qui se passe et agir« . En réalisant l’importance d’être informé·e·s les membres de COPUDEVER ont en plus organisé des forum locaux, nationaux et même internationaux. Ils ont aussi diffusé l’information auprès du grand public, distribuant des flyers dans la rue et dans différents festivals.
Dénoncer publiquement les choses est une autre manière de construire cet autre monde possible, comme l’a fait remarquer José Alfredo Jiménez, président de la Société Civile Las Abejas d’Acteal en 2015. « Pour nous, la lutte passe par le fait de dénoncer. Ne pas rester muets face à l’injustice. Être pacifistes implique de travailler, de construire la paix, ça ne vient pas tout seul, ça se construit« . L’organisation Las Abejas a été créée en 1992 et a depuis lors opté pour la non-violence active. José Alfredo a expliqué qu’une autre stratégie du gouvernement pour créer des conflits est de qualifier les problèmes dans les communautés de “conflits intercommunautaires”. Il a rappelé que “cela a été le discours officiel après le massacre d’Actéal”. Au lieu de tomber dans la vengeance et de prendre les armes contre les frères et sœurs qui ont participé au massacre en décembre 1997, Las Abejas d’Acteal ont décidé d’utiliser leur voix : ils dénoncent l’injustice et l’impunité dont ils sont victimes depuis maintenant 18 ans.
En 2015, dans le cadre de la systématisation des leçons apprises pendant ces 20 ans, le SIPAZ a produit un documentaire : Que el corazón no esté partido [« que le cœur ne soit pas divisé »]. Dans la vidéo, José Alfredo Jiménez de Las Abejas, toujours lui, a expliqué qu’en tsotsil, langue des Hauts Plateaux du Chiapas, le terme “paix“ se dit jun o´ontonal, qui peut se traduire par : “un cœur unique “ ou “que le cœur soit entier “. Il faut comprendre par là que le peuple doit rester uni même dans les moments difficiles, et que les problèmes et conflits ne doivent pas entraîner de divisions. Comme l’a expliqué Martha Ramírez, elle-même indigène me´phaa de la région de la Montagne de Guerrero: “les anciens disent que ce qui est fait avec le cœur jamais ne meurt“. C’est sur ce message d’un cœur comblé et guidé par les lueurs sur le chemin que s’est conclu l’anniversaire des 20 ans de présence du SIPAZ dans le sud du Mexique. En fêtant notre persévérance à lutter dignement et avec espoir…