Activités de SIPAZ (Mars – Mai 2002)
28/06/2002SYNTHÈSE : Actions Recommandées
27/12/2002INFORMATION COMPLEMENTAIRE : La Cour Suprême de Justice de la Nation rejette les demandes présentées par les peuples indigènes contre la réforme constitutionnelle
« Nous avons lutté beaucoup, mais nous avons peu avancé. Nous avons frappé à de nombreuses portes aux niveaux de l’état, fédéral et même international, mais ils nous ont fait peu de cas. Pourquoi les autorités ne nous prennent-elles pas en compte ? Les membres de nos communautés nous demandent : pourquoi allons-nous en ville si elles ne nous feront pas cas ? A partir de quand se décideront-elles à nous écouter ? Ou bien est-il nécessaire que l’EZLN se soulève à nouveau pour qu’elles nous écoutent ?
(Autorités indigènes réunies à Mexico le 12 septembre 2002)
Le 6 septembre, un an après les avoir reçues, la Suprême Cour de Justice de la Nation (SCJN) a décidé de déclarer irrecevables les controverses constitutionnelles présentées par différentes municipalités indigènes contre la procédure de la réforme constitutionnelle en matière de droits indigènes (voir Actualité dans ce bulletin).
Ce verdict est selon la Cour basé sur l’article 105 constitutionnel, fraction I, qui établit la compétence de la SCJN en matière de controverses constitutionnelles: cet article ne permet pas à l’organe de justice maximum de réviser les processus de réforme constitutionnelle vu que l’organe réformateur n’est pas de la même nature que ceux qui réalisent les fonctions de gouvernement, ceci en dépit du fait qu’il est formé par le Congrès fédéral et les législations des différents états. En bref, la Cour considère qu’elle n’a pas la faculté de juger le caractère constitutionnel des réformes à la Constitution émanant du Pouvoir législatif.
Les réactions
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Des organisations indigènes du Chiapas ont exprimé leur profonde déception face au verdict. Dans une déclaration conjointe, ils ont affirmé : « …à nouveau nous sommes exclus. Nous ne sommes rien pour eux (…) aucun des trois pouvoirs ne nous écoute ni ne comprend notre lutte et ils ont fermé les portes à une justice avec paix et dignité. Et l’état mexicain se préoccupe seulement pour les intérêts des grandes transnationales et par le Plan Puebla-Panamá ».
Du 6 septembre à ce jour, les organisations indigènes ont réalisé des actions de protestation locales et nationales de manière pacifique: marches, barrages, sit in, actes publics et rencontres, qui ont généralement été ignorées par les médias. Dans tous les cas, l’accent a été mis sur la décision de ne pas reconnaître la réforme indigène et d’exercer l’autonomie qu’on leur nie par la voie des faits.
Les principales concentrations ont été la Rencontre Nationale des Peuples Indiens (Chilpancingo, Guerrero , le 12 et 13 septembre) et le IIIème Forum National pour la Défense de la Médecine Traditionelle (Atlapulco, état de Mexico, du 14 au 16 septembre). Durant la première, 200 représentants de 36 organisations ont convoqué les Indiens à s’articuler en un ample mouvement et à entreprendre des initiatives conjointes permettant l’exercice direct de l’autonomie. Ils ont également invité la société civile à participer dans un même effort pour un projet de nation plurielle et démocratique. Lors du second événement, environ 500 délégués de 29 peuples indiens ont rendu publique la Première Déclaration de M’enhuani reconnaissant les Accords de San Andrés comme la seule loi en matière indigène. Ils ont également appelé les peuples indiens à fortifier toutes les expressions d’autonomie dans les différentes régions du pays.
Un autre accord a été la réalisation d’une grande journée de protestations et mobilisation nationale et internationale le 12 octobre. Certaines organisations faisant partie du Congrès National Indigène ont annoncé qu’ils continueront la bataille légale pour éviter que la réforme ne s’applique dans leurs territoires, en recourant à la OIT et au système interaméricain.
L’EZLN ne s’est toujours pas prononcé par rapport au verdict. Un « silence éloquent », selon l’interprétation de Felipe Arizmendi, évêque de San Cristóbal de las Casas : « Leur réponse est le silence ; pour eux il s’agit d’une forme de réponse : ils considèrent que dans la mesure ou leurs propositions et les accords que le gouvernement avait réalissé avec eux n’ont pas été pris en compte, le dialogue est inutile ».
Une des critiques les plus fortes à la SCJN provient d’un ample secteur de la société civile formé d’ONG, des principaux centres de droits humains, d’organisations sociales, d’académiciens et d’intellectuels reconnus qui ont qualifié le verdict de « moquerie » qui reproduit « la discrimination, le racisme et toute l’attitude colonialiste » auxquels les peuples indiens du Mexique ont été soumis. Le communiqué termine en affirmant que « personne n’a désormais l’autorité morale pour juger la voie que les peuples indiens choisiront librement pour obtenir les justes demandes d’autonomie et de dignité ».
La Conférence Episcopale Mexicaine a convoqué la société à un grand Dialogue National -auquel pourra contribuer la communauté internationale- pour chercher à transformer les mots du Pape lors de sa récente visite au Mexique en réalité : « Le Mexique a besoin de ses indigènes et les indigènes ont besoin de Mexique ». Les évêques catholiques ont affirmé que « comme église, nous souhaitons renforcer notre compromis vis à vis des indigènes. Il est impossible de continuer à vivre dans un Mexique divisé par le racisme et la discrimination ; les peuples indiens méritent la reconnaissance de leurs cultures, leur façon de voir les choses et leur autonomie. «
Depuis le secteur protestant, le leader de l’Eglise Presbytérienne, le pasteur Abner López, a exhorté le Congrès à réviser les réformes constitutionnelles en matière indigène vu que sans cela, il sera pratiquement impossible de continuer le dialogue de paix entre l’EZLN et le gouvernement fédéral. Il a également critiqué le gouvernement du président Fox dans la mesure ou sa préoccupation pour les peuples indiens n’a été « qu’en apparence ».
Le gouvernement du Chiapas a exprimé que la décision de la Cour « ne doit pas être considérée comme la fin du chemin mais comme le début d’une nouvelle étape de laquelle de nouvelles initiatives de paix devront surgir ». Il a affirmé que le Congrès de l’Union doit évaluer la possibilité de lancer une réforme additionnelle : « aucun effort n’est excessif à l’heure actuelle si par ce biais s’exprime la volonté inaltérable de répondre aux peuples indiens et d’avancer dans le sens de la paix ».
Au niveau politique, le PRD a rejeté catégoriquement le verdict de la Cour. Du coté du PRI, on a pu écouter diverses opinions, depuis ceux qui ont demandé de commencer immédiatement une réforme à la réforme jusqu’à ceux qui considèrent que le thème de doit pas ni n’a besoin d’être reconsidéré. La majorité des législateurs du PAN ont approuvé le verdict de la SCJN. Les opinions au sein de la COCOPA ont été le reflet du manque de consensus qui existe par rapport au thème.
Le Pouvoir Exécutif – par le biais du Ministre de l’Intérieur Santiago Creel et du Représentant gouvernemental pour la Paix au Chiapas, Luis H. Alvarez- ont manifesté leur strict respect du verdict. Ils ont ajouté que le gouvernement « maintiendra en permanence ouverte les voies pour un dialogue avec le Pouvoir Législatif et les autres acteurs sociaux et politiques, afin de consolider la reconnaissance des droits des indiens dans le cadre juridique existant au niveau national ». Il a également réaffirmé sa disposition « inaltérable » à reprendre le dialogue avec l’EZLN?
Analyse
Le verdict de la Suprême Cour de Justice de la Nation réduit significativement la possibilité de reprise du processus de paix au Chiapas et de reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique. Après s’être sentis abandonnés par le Pouvoir exécutif et trahi par le Pouvoir Législatif, les peuples indiens espéraient que le Pouvoir judiciaire leur donnerait la raison en invalidant une réforme dont la légalité est sujette à question (dans la mesure où le processus d’approbation de celle-ci a présenté certains vices) et qui manque de légitimité, vu qu’elle a été rejetée par ses supposés bénéficiaires.
Le fait que la Cour ait tardé plus d’un an pour émettre un verdict qui ne se réfère ni au contenu ni au processus d’approbation de la réforme remise en question pour considérer qu’elle n’était pas compétente pour ce faire est notable. Cette décision remise à plus tard pendant longtemps s’est donnée à un moment de plus grand conflit politique et vulnérabilité sociale au Chiapas, immédiatement après une escalade de violence qui a coûté la vie de plusieurs dirigeants civils zapatistes.
Dans ce contexte, la décision de la SCJN, loin de contribuer à une diminution de la tension, probablement sera un facteur de radicalisation pour la dynamique de confrontation qui prévaut actuellement au Chiapas et dans d’autres états du pays, réaffirmant ainsi la conviction de ceux qui croient que les voies légales pour exprimer pacifiquement leurs demandes n’existent plus.
D’un autre coté, ce verdict marque un précédent pour le futur des institutions démocratiques mexicaines : si le plus haut niveau du Pouvoir judiciaire se considèrent incompétent pour surveiller la constitutionnalité des réformes constitutionnelles, à quelle institution de l’Etat correspond cette fonction essentielle?
Un autre fait préoccupant est le message que l’Etat mexicain envoie au monde quant à sa volonté de respecter les compromis assumés, tant à échelle nationale (Accords de San Andrés) qu’internationale (en ratifiant la Convention 169 de l’OIT). La SCJN a laissé passer une opportunité historique de faire valoir d’une pierre deux coups les demandes et droits des peuples indiens, contribuer au renforcement des institutions démocratiques et avancer dans la mise en place des compromis internationaux assumés par le Mexique.
En dépit de ces sombres perspectives, nous espérons que les différents acteurs dans ce conflit -qui va au-delà des limites du Chiapas vu qu’il affecte l’ensemble des peuples indigènes du pays- feront tout leur possible pour rechercher avec responsabilité et honnêteté, les possibilités de compréhension nécessaires pour débloquer la situation actuelle.
Nous considérons également que toute solution pour être durable devra donner la priorité – au-delà des intérêts économiques et politiques de certains secteurs ou transnationaux- aux droits légitimes des peuples indiens à mettre en place leurs propres formes d’organisation sociale, économique et politique, préserver leurs territoires et ressources naturelles, qui sont la garantie de leur existence actuelle et l’espoir d’un futur meilleur pour leurs descendants?